Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patience ont complété l’œuvre de la nature : on n’insiste plus jusqu’à ce que la supériorité acquise de l’armement permette de renverser soudain tous les obstacles.

Dans ces zones parfois assez étendues, on finit par s’accoutumer, paraît-il, au régime de la paix armée. Elles sont d’ailleurs occupées par des troupes que l’âgé ou leur destination ne prédisposent pas aux attaques vigoureuses et aux élans de l’assaut. Ces braves gens, qui sont aussi des gens très braves et en ont fourni et en fourniront à l’occasion maintes preuves éclatantes, ont pris pour baromètres l’artillerie et les engins de tranchée adverses. Les canons et les crapouillots sont en effet les plus expressifs des parlementaires. De leur mutisme ou de leur bavardage, on déduit vite les intentions ou le caractère du voisin. S’il se contente de vérifier de temps à autre ses « réglages, » on peut s’installer sur la position sans crainte d’être dérangés. Mais tant pi- pour qui, confiant dans la durée indéfinie du statu quo et dédaigneux des labeurs de terrassier, mineur ou portefaix, a préféré mettre en pratique le principe du moindre effort. Sans qu’il s’en doute, la situation stratégique s’est modifiée, et, quelque jour, à l’improviste, l’ouragan se déchaîne, nivelant sous un déluge d’acier les cases champêtres, les tranchées et boyaux peu profonds, les réseaux ébauchés ; la garnison est incapable de longue résistance, et l’adversaire passe et progresse jusqu’à la limite de ses canons.

Tout autre est le régime des secteurs où des troupes belliqueuses se trouvent en présence, où les moindres gains de terrain peuvent avoir des conséquences importantes pour le développement des affaires à grande envergure qui germent dans le secret des états-majors. Les conditions d’organisation, d’habitabilité, de préparation à la bataille y sont très différentes, selon que les premières lignes sont en contact ou qu’elles sont séparées par un intervalle de cent à deux cents mètres environ. Les chefs et la troupe, chez nous, ne sont pas encore bien fixés sur les avantages respectifs de l’un ou de l’autre système, quand le choix n’est pas imposé par la nature du terrain. Ce choix, le plus souvent, est affaire de tempérament. Mais, dans tous les cas, les modestes tranchées, les minces réseaux qui nous ont arrêtés après la bataille de la Marne et qui brisèrent la ruée des Allemands sur l’Yser, ne suffisent plus.