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studieuse retraite, son salon tapissé de gravures anciennes, de dessins de Rossetti, de photographies aimées, son cabinet paisible, plein de livres graves et chers, il avait tout laissé pour aller se battre en France, et depuis plus d’un an on était sans nouvelles de lui. Et voici un détail auquel je ne puis songer sans émotion. Sur une tablette de la bibliothèque, parmi les revues accumulées que nul n’avait ouvertes, un paquet de lettres, venues trop tard, semblait comme à l’abandon : pauvres lettres, pleines peut-être de tendresse, de confidences, de souvenirs, et qui jamais ne seront lues, et qui jamais ne recevront de réponse… Et dans l’appartement élégant et joyeux de Magdalen, cela mettait, même pour le passant que j’étais, quelque chose d’infiniment mélancolique.

D’autres professeurs ont cherché autrement le moyen de se rendre utiles. Les hommes de science, physiciens, chimistes, ingénieurs, ont mis au service de l’Etat, en particulier pour la fabrication des munitions, leurs capacités spéciales. Les médecins ont répondu avec un empressement unanime à l’appel que leur adressait le service de santé. Les historiens, les juristes, les « littéraires » ont trouvé dans les services du Ministère de la Guerre, en particulier au bureau de la Presse et dans le dépouillement des journaux étrangers, de quoi occuper leur activité. Ce n’est pas tout. Dans un pays comme l’Angleterre où, jusqu’à ces dernières semaines, le service militaire n’était point obligatoire, il importait, plus qu’ailleurs, d’éclairer et de diriger l’opinion publique sur les grandes questions politiques et morales que la guerre a soulevées. A un peuple dont on attendait qu’il s’enrôlât volontairement, à un peuple qui soupçonnait à peine la gravité redoutable du conflit, il fallait dire les raisons profondes et l’enjeu de la guerre, faire comprendre la grandeur de la lutte et la beauté de la cause pour laquelle se battait l’Angleterre. Les universités ont considéré que cet enseignement populaire et civique n’était pas le moindre de leurs devoirs, et elles l’ont donné sans compter, par la conférence et par le livre.

Dès le début de la guerre, plusieurs professeurs d’Oxford se réunissaient pour écrire un petit volume intitulé : Pourquoi nous sommes en guerre (Why we are at war), livre excellent et dont une phrase de la préface suffit à marquer l’esprit et à attester l’impartialité : « Nous avons quelque expérience,