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dans une jolie mélodie de cloches harmonieuses. Dans le cloître, la « tour du fondateur, » élégamment parée de lierre, conserve les tapisseries admirables que jadis, à l’occasion du mariage de son fils avec Catherine d’Aragon, Henri VII donna au collège. L’allée d’Addison, aux frondaisons séculaires, est déserte et sans bruit. Et dans le grand silence et le calme apaisement des choses, il semble que la vie doive s’écouler ici sans troubles et sans heurts. Et c’est, dans mon appartement de King’s College, entre la cour que domine la haute façade ajourée de la chapelle merveilleuse et les prairies vertes et souriantes qui s’en vont jusqu’aux rives de la Cam, la même impression de calme et de douceur. Et je me souviendrai longtemps de ces trois pièces charmantes, de ce coin paisible dont le hasard m’avait fait passagèrement le maître, et où il faisait si bon, devant l’horizon infini et calme, se donner l’illusion d’une autre existence.


Mais la réalité aujourd’hui efface vite ces rêves trop séduisans. Dans le décor demeuré immuable, la guerre a apporté des formes nouvelles de vie. Jadis les rues d’Oxford et de Cambridge étaient pleines de l’animation joyeuse et jeune qu’y mettait un peuple d’étudians ; sur la rivière couverte de barques résonnaient les cris alertes des rameurs. Aujourd’hui, les rues sont vides, la rivière est déserte. Dans les jardins des collèges, sous les arceaux des cloîtres, on rencontre quelques jeunes gens à peine ; dans les salles de cours, dans les laboratoires, l’assistance, bien clairsemée, se compose presque exclusivement d’étrangers et de femmes ; dans les salles d’examen, des femmes, presque exclusivement, se préparent à subir les épreuves. La guerre a brusquement vidé les universités anglaises de la presque totalité de leurs étudians et d’une bonne partie de leurs professeurs mêmes.

Quelques chiffres seront ici, je pense, plus significatifs que toutes les paroles. Avant la guerre, Oxford comptait de 2 à 3 000 étudians ; il n’en a pas 400 aujourd’hui ; dans une seule de ses fondations, à New Collège, la population scolaire est tombée de 210 élèves à une vingtaine à peine. Il en va de même à Cambridge. En octobre 1913, le plus grand de ses collèges, Trinity, avait 539 étudians ; à Pâques de 1916, il en