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continuent par les clochetons de Brasenose ; et dans ce coin délicieux, demeuré tel que le purent voir des yeux fermés depuis des siècles, le passé s’évoque en une vision si intense et d’une grâce si rare, qu’on y voudrait vraiment, comme me le disait joliment un de mes hôtes, élever, pour éterniser la minute fugitive, un autel au « génie du lieu, » genio loci.

Tout le monde connaît de même le charme de l’autre vieille cité universitaire, de ce Cambridge si calme, si apaisant, dans sa ceinture de grands jardins pleins d’ombre et de prairies fraîches. Tout le monde connaît cette merveilleuse chapelle de King’s College, un des plus beaux monumens qu’ait produits en Angleterre l’architecture gothique finissante, où, sous les voûtes d’une élégance si savante, les murs fleuronnés d’écussons font un si pittoresque décor, où la lumière se tamise si joliment à travers les verrières anciennes qui garnissent les hautes fenêtres ciselées. De Peterhouse à Magdalen, les collèges succèdent aux collèges, Pembroke avec ses vieux bâtimens tout tapissés de lierre, Caïus avec ses trois portes, de l’Humilité, de l’Honneur et de la Vertu, Trinity avec sa cour majestueuse et son hall plein de portraits illustres, Saint-John avec sa façade de citadelle et sa bibliothèque ancienne. Derrière les collèges, sous l’arcade des ponts centenaires, sous ce pont des Soupirs qui, derrière Saint-John, fait penser à Venise, la Cam coule, languissante, entre des berges verdoyantes, et les vieilles murailles se mirent dans les eaux moirées de verdure et d’ombre. Et partout, dans ce Cambridge, assez différent d’Oxford, où il semble qu’il y ait plus d’air, plus d’espace et comme une atmosphère plus chaude et plus lumineuse, c’est une impression de calme, de repos, de paix, une impression qui serait délicieuse, si l’on pouvait oublier la guerre…

J’ai eu la bonne fortune, pendant quelques jours, de réaliser ce rêve qu’ont caressé tous ceux qui visitèrent Oxford ou Cambridge, et que Bourget a si joliment rêvé : d’être l’hôte d’un de ces collèges anciens, de me croire devenu un fellow de Magdalen à Oxford, ou de King’s à Cambridge ; et de ces heures trop brèves, j’ai gardé un souvenir délicieux. Sous mes fenêtres de Magdalen, dans le parc où errent librement les biches familières, les aubépines roses géantes, les grands marronniers blancs mettent une note éclatante dans l’ombre des arbres centenaires. Du haut de la tour aérienne, l’heure tombe et s’enfuit