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l’Inquisition. Maintenant il lui en proposait un moins dangereux mais plus chimérique, dont Simon Rodriguez était chargé de le convaincre : « Que le Roi s’adresse à son gouverneur de l’Inde, quel qu’il soit, et lui dise : « Je ne me fie à aucun religieux, à commencer par les membres de la Compagnie de Jésus, autant qu’à vous pour étendre dans cette partie de l’Inde la foi de Jésus-Christ. Je vous commande de faire chrétienne l’île de Ceylan et d’accroître le nombre des Chrétiens du cap Comorin : choisissez des religieux, donnez-leur tout pouvoir sur les membres de la Compagnie… et, si l’Ile de Ceylan n’est pas tout entière chrétienne, si notre foi ne se propage pas… » oh ! alors, que le Roi fasse un serment et qu’il le tienne !…« Si vous ne déchargez pas ma conscience, je jure que, dès votre retour à Lisbonne, vous serez saisi, mis aux fers, jeté en prison et que tous vos biens seront confisqués. »

On voudrait effacer ce passage des lettres de François : il n’est ni d’un apôtre, car un apôtre n’abdique pas ainsi entre les mains de l’autorité civile, ni d’un organisateur, car, si le Roi et la Compagnie l’ont envoyé dans l’Inde, c’est afin d’organiser les missions, et non pour en remettre le soin au vice-roi. Rien n’est heureux de ces conseils que lui dictent bien moins son expérience, comme il le dit, que son impatience et son irritation. On sent dans cette menace de jeter le gouverneur aux fers une sorte de réplique au récent triomphe de Jean de Castro. Et je n’aime pas plus son insistance à subordonner humblement les membres de la Compagnie aux volontés du gouverneur : elle semble leur créer une place spéciale même dans l’obéissance. Enfin le Roi n’était pas si coupable. Que pouvait-il contre les « saintes jalousies, » santos ciumes, qui, selon l’euphémisme de François, paralysaient l’action du clergé ? En quoi était-il responsable des négligences que l’on avait apportées dans l’accomplissement de ses ordres ? Et ces ordres étaient-ils tous applicables ? C’est très joli, quand on est à Lisbonne, d’exiger que les emplois importans soient réservés aux nouveaux convertis ; mais, si les nouveaux convertis sont des parias, la politique et le bon sens exigent qu’on ne tienne pas compte des ordres du Roi. Le Roi ne connaissait l’Inde que par des lettres remplies de dénonciations et de contradictions ; et ceux qui lui écrivaient ne voulaient connaître que leurs propres affaires. François lui-même, qui y est arrivé depuis