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extrémité ; on s’aperçoit maintenant que notre intérêt pratique à nous est plus grand encore, si ce que l’on va débattre, en parlant minerais et concessions, c’est la possibilité d’une guerre future. Rester intransigeans pour les minerais, c’est assurer la paix ; car c’est empêcher une agression des Allemands, suivant l’expression de nos communiqués, par « un tir de barrage ; » et il est bien évident que l’agression ne viendra jamais du côté de la France. Les Français ont assez montré qu’ils savaient se battre quand on les attaquait ; mais ils forment un peuple pacifique ; et les Allemands le savent, ils le croyaient même exagérément. Leurs commerçans, leurs industriels peuvent donc compter, si le militarisme prussien qui les a si follement compromis et ruinés est pour jamais anéanti, sur une longue période de développement pacifique et, par conséquent, de prospérité. Ils manqueront un peu de fer, c’est vrai, mais avec leur surabondance extraordinaire de houille, ils feront des échanges. Céder, au contraire, c’est exposer l’Europe entière et les Allemands travailleurs aussi bien que nous, à ce que, dans dix, dans quinze ans, la crise actuelle recommence plus épouvantable encore… Je semblais, en commençant, admettre que l’Allemagne entière se dresserait pour obtenir ce qui lui apparaitra comme une nécessité vitale. Non, l’Allemagne vaincue, comme nous la supposons ici, se réveillera peut-être de ses illusions militaires et finira par comprendre que le meilleur moyen de s’enrichir n’est pas de construire des 420 et des sous-marins ; elle sera aussi intéressée que nous à se débarrasser de ce cauchemar. Ses gouvernans résisteront ; son peuple, qui commence à faire entendre sa voix, acceptera, supposons-le, de céder.

Je reviens donc à l’hypothèse élémentaire et que la plupart des Français admettent de prime abord, sans tant de controverses et de phrases : au lendemain de la paix, l’Alsace-Lorraine sera à nous tout entière, économiquement aussi bien que politiquement, avec son annexe de la Sarre ; aucune restriction n’aura été admise et nous pourrons utiliser tous ses minerais ; nous pourrons, dès le premier jour, employer à nos reconstructions la fonte et l’acier de belles usines restées intactes, qui, ne l’oublions pas cependant (car ce sera là un autre danger à éviter), appartiendront à des particuliers, à des actionnaires Allemands. Mais alors la seconde question va se poser. Quand on a hérité, il faut s’occuper de gérer sa fortune. Pouvoir