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l’ennemi à subir toutes nos exigences, nous ne pouvons savoir dans quel délai, par quelle progression, après quelles vicissitudes nous y réussirons. Ce n’est pas du jour au lendemain, par un brusque cataclysme irrémédiable, que toute la puissance allemande s’effondrera. Nous n’entrerons pas à Berlin en aéroplane, sans avoir franchi bien des étapes qui nous donneront chaque fois le loisir de calculer et de réfléchir. On s’est quelquefois demandé si la capitulation de l’Allemagne ne se ferait pas, comme celle d’une place assiégée, sur les tranchées actuelles. Mais, dans toutes les hypothèses, la rédaction d’un traité entre deux belligérans implique des négociations. Qui dit traité, dit marchandage, dit transactions, dit compromis. Je rappelais tout à l’heure comment, en 1871, la cession consentie par nous des minerais lorrains avait contribué à nous conserver Belfort. Le vaincu se débat. Le vainqueur lui-même peut trouver un intérêt d’avenir à modérer ses prétentions. Il serait donc un peu puéril de nous déclarer, tout d’abord et sans examen, décidés, coûte que coûte ? , à tout obtenir. Le premier point, en pareille matière, est trop évidemment de savoir si on le peut. C’est le côté militaire de la question, que je n’ai pas à envisager. Mais le second est aussi de juger si on a un intérêt majeur à le vouloir. Cet intérêt est-il tel qu’il nous fasse prolonger la lutte jusqu’aux extrémités, après avoir obtenu déjà de l’Allemagne les concessions principales ?… Jamais aucune négociation n’a été engagée encore entre nous et nos adversaires. Mais on se comprend souvent sans se parler et, en diplomatie, tout l’intéressant s’écrit entre les lignes. Implicitement, sans qu’il ait été besoin d’aucune précision officielle, des avances ont été faites, des concessions admises par nos ennemis, et ce ne seront pas les dernières. Deux commerçans avisés qui discutent un-marché se devinent l’un l’autre et chacun d’eux a d’avance réfléchi aux points, importans pour lui, du marché futur, sur lesquels il ne cédera jamais, puis à ceux qui lui semblent secondaires. Il est vrai qu’il se garde de penser tout haut, comme je le fais ici ; mais, dans notre cas actuel, ce que je puis dire est trop directement déterminé par les circonstances pour ne pas être aussitôt prévu ; et, d’ailleurs, en le disant, je ne fais qu’exprimer l’opinion d’un « laïque » irresponsable. Je n’apprends absolument rien à aucune personne compétente en Allemagne et j’apprendrai peut-être quelque chose à quelques-uns en France.