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préoccupés de forcer les chiffres en ce qui les concernait et de les réduire pour nous. Etant donnée leur intention nettement affichée d’annexer un peu plus tard nos minerais français, on a le droit de supposer qu’en agissant ainsi ils n’étaient pas seulement mus par l’amour-propre, mais qu’ils tenaient surtout à diminuer notre part, en prévision des débats ou des estimations auxquelles aurait pu donner lieu cette annexion espérée. Il m’est peut-être permis de rappeler à ce propos un minime incident qui caractérise les méthodes allemandes d’« avant-guerre » et cette préparation minutieusement obstinée, dont les fils plus ou moins adroitement tendus sont apparus peu à peu dans le monde entier. Les rapports avaient été publiés et on pouvait y lire une petite note insidieuse allemande évaluant à 1 300 millions de tonnes des réserves françaises que nos ingénieurs, cependant beaucoup plus prudens et plus sincères, estimaient à 3 milliards de tonnes. Les Allemands se firent charger, toujours à titre scientifique, de continuer et de perfectionner l’enquête. Ayant eu alors à m’occuper de la partie française, je fus assailli de lettres et de télégrammes laissés volontairement sans réponse, jusqu’au jour où, de guerre lasse, un délégué berlinois vint me relancer à Paris pour me suggérer, « en confrère, » une base de calcul qui aurait notablement diminué notre apparente richesse.

En nous bornant, avec ces restrictions, aux chiffres publiés, on voit que les réserves françaises sont aux réserves allemandes dans la proportion de 3 à 2, et, comme l’Allemagne en dévore près de deux fois plus par an, notre avenir au taux actuel serait trois fois plus long que le leur.


Ainsi donc le gisement lorrain domine toute la sidérurgie franco-allemande, et l’on peut même dire qu’il domine toute la sidérurgie européenne ; car le plus grand gisement anglais, de beaucoup, celui du Cleveland, ne dépasse pas, comme réserves, 3 milliards de tonnes. Nous pouvons maintenant, pour l’Allemagne comme pour la France, négliger tous les autres gisemens, quelle que soit leur importance accessoire, pour ne considérer que le gisement de la « minette » lorraine, qui est, en même temps, le seul auquel s’appliquent directement les préoccupations et les hasards changeans de la Grande Guerre.