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espérances. Ainsi fut fait, en particulier à Lille, sous la présidence du recteur Lyon dont, bientôt après, rien ne devait plus nous parvenir, et dont nous savons seulement combien la sensibilité ardente et délicate a dû souffrir. Et l’année continue, scandée, autant que par les traditionnelles vacances, par les journées auxquelles l’école est associée : journée du drapeau belge, journée du 75, journée française, journée de l’orphelinat des armées. La journée serbe fut même exclusivement scolaire et consista dans une leçon d’histoire sur l’épopée lointaine et mal connue d’un peuple subitement jeté dans le cours de nos propres destinées. Puis vinrent des distributions de prix d’un caractère plus grave que les cérémonies coutumières : elles furent présidées par les chefs des établissemens eux-mêmes, ou quelquefois par les chefs de ces chefs, et les discours se bornèrent à raconter la vie mouvementée de chaque maison pendant l’année vécue et sa participation à toutes les œuvres de guerre qui ont surgi. Ces discours constituent par suite de sincères et utiles documens, et n’écartèrent pas la pensée des auditeurs de ce qui est depuis deux ans l’unique objet de la pensée de tous. Et une autre année a recommencé, et d’autres journées, appels répétés à des générosités inlassables, ont eu lieu, et d’autres distributions de prix vont avoir lieu ou viennent d’avoir lieu. Les examens aussi fonctionneront, et les sessions de baccalauréat furent même un peu plus nombreuses, la règle adoptée étant de ne pas ajouter aux risques de ceux qui partent le moindre tort fait à la carrière de ceux qui reviendront. On se présente même au baccalauréat entre deux coups de feu. Ce fut le cas d’un petit sergent de dix-huit ans. Le 30 juin, son père écrit au doyen de la Faculté de Nancy : « Je vous envoie mon fils qui descend ce matin des tranchées où il vient de passer une semaine terrible, qui ne l’a guère préparé à l’épreuve de demain. S’il est admissible, je voudrais qu’il passe son oral le plus tôt possible, afin qu’il ne reste pas trop longtemps éloigné de la section qu’il commande. » Le jeune sergent est reçu à l’examen écrit ; il est reçu aussi à l’examen oral, le 5 juillet ; le soir même, il regagne son poste. Le lendemain, le doyen recevait du père ces quelques lignes : « Merci de l’accueil que vous avez fait à mon cher enfant ; aujourd’hui, à dix-huit heures, il a été tué au Rois-le-Prêtre. » Ainsi mourut, le 6 juillet 1915, le sergent Marcel Ferrette, bachelier de la veille.