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ont été trempées dans des deuils renouvelés. Qu’est-ce qui vous a transformés ainsi, pères et mères aux âmes inquiètes, facilement endolories, et qui aimiez vos enfans comme on ne les a jamais aimés ? Votre douleur n’est pas moins profonde. Elle l’est même d’autant plus que ceux qui tombent se sont révélés plus dignes de votre tendresse, et que vous ne reconnaissez pas, dans le coup qui vous frappe, le caractère inévitable d’une loi de la nature. Mais de l’innombrable douleur de la France d’aujourd’hui il sort de la force plutôt que de la faiblesse. Les deuils sont portés comme une noblesse ; dans l’universel exhaussement des courages, ceux qui pleurent ont essayé de n’être pas trop inférieurs à ceux qui meurent ; et ils ont cru que la continuation de leur effort et la victoire consentie du patriotisme sur les plus puissans des sentimens humains étaient l’hommage même que leurs morts eussent choisi. Vous vous êtes conduit comme un soldat, professeur de Grenoble, qui êtes entré en classe au moment où l’on venait de vous annoncer la mort de votre fils ; et vous, professeur de la Faculté de médecine de Nancy qui, recevant la même nouvelle, quand vous soigniez un blessé, n’avez pas interrompu l’opération commencée.

Les femmes ont été ici au moins les égales des hommes. Les lettres d’institutrices veuves valent les lettres d’adieu qu’elles ont reçues. Et que l’on songe que celles-là n’ont pas même droit à leur douleur et à leurs larmes ! Tout le monde a l’œil sur elles. Madame l’institutrice doit à son rôle public de donner l’exemple : elle le donnera. Et, passant devant la classe vide où son mari enseignait, elle va retrouver les enfans qui l’attendent et pour qui il n’est pas permis d’être triste. Et elle leur redira, sa voix tremblant un peu, qu’il faut savoir mourir pour la patrie. Voilà des scènes comme il s’en passe tous les jours dans nos humbles écoles. En voici une autre : Mlle V… est en classe. On entre, on lui parle à l’oreille. Elle tremble et sort. Puis elle rentre bientôt, les yeux rouges. « Voyons, mon enfant, où en étions-nous ? » Et la classe continue. On vient de lui apprendre la mort de son frère… Ailleurs un inspecteur trouve une mère subitement vieillie depuis la mort de son (ils, et s’occupant fébrilement de tricot et de chandails : « Il faut que je m’emploie autant que je peux, monsieur l’inspecteur, pour empêcher mon pauvre esprit de battre la campagne. » Beaucoup de femmes françaises ont fait comme elle. L’Université n’a pas eu le monopole de cette forme