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pédagogue, il appelle cela un exercice de « géographie appliquée. » Grâce à lui, on repère, dans chaque village, les localités où se battent les frères et les maris ; et il est le mieux informé des angoisses que chaque cœur enferme. Il est surtout celui qui réconforte. Il arrête en chemin les fausses nouvelles. Dans la mairie de Q…, l’instituteur a établi ce que celui qui relate ce fait appelle une sorte de « permanence du bon conseil. » Le même homme s’efforce de changer la douleur en fierté, et d’élever les courages par le culte des morts. Dans un village des Basses-Alpes, dès le début de la guerre, sur la place publique, sous un faisceau de drapeaux, un instituteur a inscrit les noms des soldats de la commune tués ou blessés.

Quand le même village a gardé instituteur et institutrice, les tâches se répartissent. Mais souvent l’institutrice fait tout. Elle aussi a moissonné. Elle a ouvert des garderies où les mères viennent parfois avec les enfans. Et les pères, qui l’ont appris, qui savent les êtres chers recueillis et entourés, en tirent du courage. On apporte à l’école jusqu’à des berceaux. A la garderie s’ajoute la cantine, et souvent aux frais de l’institutrice. « Des épouses, des mères, des sœurs se donnent rendez-vous chez moi ; on travaille, on cause des absens, on pleure, on s’encourage : tel est le rôle très modeste que je remplis ici. » L’école est ainsi un refuge à la fois matériel et moral. Quand elles ne viennent pas à elle, l’institutrice visite les familles que la mobilisation a privées de leur chef. Elle écrit les lettres adressées à ceux dont nous savons déjà qui écrira la réponse ; elle fait les envois d’argent ; elle accompagne les mères dans les tristes voyages. Etant elle-même un mélange d’autorité et de faiblesse, elle attire les confidences, et on recherche sa compassion. Plus tard ce seront les veillées, où se rendront celles qui se rendaient aux garderies ; puis d’autres devoirs se présenteront pour lesquels l’institutrice sera toujours prête : l’hospitalisation des blessés et le travail pour les combattans. Le ministère enverra des circulaires ; elles sont inutiles, si ce n’est qu’elles sont la mise en commun des initiatives diverses qui surgissent de partout. « Je ferai de mon mieux, dit une brave fille, pour répondre aux intentions de M. le ministre, mais ça nous part tout seul du cœur. »

Cet héroïsme quotidien et monnayé, quand les circonstances