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gouverneur général qu’on le prenne comme indigène, si la loi ne permet pas de le prendre comme Français, mais qu’on le prenne. C’est à son directeur d’École normale qu’un autre s’adresse : « La France m’a instruit, elle m’a donné le bien-être, elle me garantit la liberté et la paix. Je mourrai, s’il le faut, pour la défendre. » Un autre encore, en mourant, unit ces deux cris : Vive la France, vive l’Algérie ! Pendant la guerre, comme pendant la paix, les instituteurs algériens ont été de bons serviteurs de la France.

Certes, nous ne voudrions pas même paraître mettre à part les professeurs et instituteurs soldats ou officiers parmi leurs frères d’armes. Eux surtout ne le permettraient pas. Ils ont plutôt éprouvé une noble joie à se perdre dans la communauté française et à faire la connaissance d’hommes et de choses dont la vie d’école les tient d’ordinaire éloignés. Il ne se peut cependant pas qu’il n’y ait, dans leur physionomie, quelques traits qui soient bien à eux, et on peut se demander ce qui est résulté du contraste violent de leurs deux genres de vie, et du brusque renversement de tout leur système d’habitudes. Regardons donc d’un peu plus près ce type de l’universitaire soldat que l’on n’avait jamais vu, que l’on ne reverra peut-être plus de sitôt. Tous les traits d’abord ne sont pas communs à tous. Il en est qui jouissent de ce contraste dont nous parlons, qui s’enivrent de plein air et de vie simple. Ce sont les plus raffinés et les purs citadins. Pour un instituteur rural le plein air n’a pas été une surprise. Cherchons de préférence la marque de la profession commune. L’âme professionnelle subsiste, malgré la secousse subie. Un qui a dit qu’il donnerait Kant et Leibniz pour une carotte crue se repent l’instant d’après. Ils pensent à leurs élèves et évoquent la classe abandonnée. Ils causent pédagogie et il y en a qui corrigent des devoirs dans les tranchées. Les joies de l’étude, dont ils sont privés, leur apparaissent plus douces, et le temps perdu par nécessité leur fait regretter celui qu’autrefois ils auraient pu ne pas perdre. Ils disent que la tranchée est un excellent « pensoir. » Emile Clermont y méditait des sujets de roman. Mais on en sort quelquefois. Alors le géographe observe en géographe, l’historien ne se contente pas de l’histoire à laquelle il collabore et recherche les traces de celle du passé. Un professeur d’école normale envoie à des collègues des collections de fossiles recueillis dans le Soissonnais.