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facultés de médecine sont-ils mobilisés sans l’être, servant sans uniforme dans des hôpitaux militaires. Dans l’enseignement secondaire, il dépassait 3 000 ; dans l’enseignement primaire, il atteignait 30 000. Voilà le corps d’armée universitaire.

Le hasard fit bien les choses pour lui. Le premier Français tué fut un instituteur, André Peugeot, caporal au 44e d’infanterie. Ce fut le dimanche 2 août, à dix heures du matin. La guerre ne fut déclarée que le 3. Une patrouille allemande s’avance ce jour-là jusqu’à 12 kilomètres en territoire français. A Joncherey, près de Delle, Peugeot organisait un petit poste, lorsque les cavaliers allemands furent signalés. Il s’avança vers l’officier et lui fit les sommations d’usage. Celui-ci, le lieutenant Mayer, du 5e chasseurs à cheval de Mulhouse, répondit par trois coups de revolver, quoique l’état de guerre n’existât pas encore. Peugeot, mortellement atteint, eut l’énergie d’épauler son fusil et d’abattre son meurtrier. Puis il lit quelques pas, et tomba sans un cri. Il avait vingt et un ans. Il était fils d’institutrice, et ancien élève de l’école normale de Besançon.

Depuis cette première victime, combien d’autres ! Le Bulletin de l’Instruction publique et toutes les revues d’enseignement s’ouvrent, depuis bientôt deux ans, par la liste glorieuse, certains jours effroyablement longue, des morts pour la patrie. C’est, page par page, et au fur et à mesure des événemens, le livre d’or. Pour l’enseignement supérieur aucune addition n’est possible, et pour d’autres raisons encore que celles que nous avons dites. Les fonctionnaires appartiennent à des catégories trop différentes. Mais, ce qu’il faut dire, c’est que ce ne sont plus seulement des espérances, mais des talens dans toute leur floraison qui sont fauchés : membres des Ecoles de Rome et d’Athènes, ou de la fondation Thiers, astronomes, maîtres de conférences, professeurs même de nos facultés. Il faudrait autant de notices que de noms. Je pense à ceux que j’ai particulièrement connus. Je pense à vous, Chéneaux, engagé volontaire à quarante-cinq ans, quand votre vie laborieuse vous apportait des fruits bien gagnés, vous dont les pacifiques travaux de juriste et la douce physionomie ne laissaient pas deviner l’ardeur patriotique et le futur héroïsme. Je pense à vous, Rambaud, qui portiez avec modestie un nom cher à l’Université, et comptiez déjà, à votre tour, parmi nos bons historiens, vous,