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nombreuse, ne peut plus lui être imposé, et tour à tour il se libère par le divorce, l’union libre, la stérilité volontaire. Or, chacune de ces réformes a la même conséquence et plus elles émancipent la vie de l’homme, plus elles attentent à la vie de la société.

Dans l’Espagne du XVIIIe siècle, presque tous ceux qui pensaient s’associèrent à notre vœu de libertés légitimes. Ils étaient trop attentifs aux leçons de notre philosophie pour que son scepticisme ne trouvât point parmi eux quelques adeptes. Nulle part la structure religieuse de la société n’était plus complète, aussi intacte, aussi rude aux dissidences. Nulle part, les adversaires de l’Eglise ne devaient être plus passionnés. Mais cette hostilité les faisait trop étrangers au sentiment national pour qu’ils comptassent dans le parti des réformes, et ce parti lui-même était trop faible pour changer rien aux choses. La dévolution ne passa des idées dans les faits qu’apportée de France par Napoléon. L’Empereur, là comme partout, se montra un organisateur du pouvoir ; pas plus là qu’ailleurs, il ne fut un maître de liberté ; sa connaissance de ses adversaires et de ses besoins le poussait à amoindrir l’autorité et les richesses de l’Eglise. Dans la mémoire de l’Espagne, le premier de ses gouvernemens modernes demeura inséparable d’une invasion qui avait voulu être une conquête, et d’attaques à l’Eglise qui avait été l’initiatrice de la révolte et de la délivrance nationales. Pourtant la même passion d’indépendance, qui, par l’élan du peuple entier, venait de vaincre Napoléon, survécut, dans les classes les plus cultivées de ce peuple, contre une autre tyrannie, quand Ferdinand II prétendit relever son absolutisme intact dans la ruine de l’Empire français. Ces Espagnols n’admirent pas que les quelques franchises offertes à la nation par un maître étranger et le plus capable de gouverner seul, fussent refusées à l’Espagne par un roi espagnol, le plus médiocre des souverains. Contre lui ils voulurent une constitution, et lorsque, en 1823, la France revint en Espagne défendre contre eux la plénitude du pouvoir monarchique, les libertés leur furent plus chères pour avoir été combattues par l’étranger.

Ces libertés d’ailleurs, de presse, de parole, de représentation politique, n’étaient à l’usage que des classes bourgeoises : un cens élevé dans ce pays pauvre enlevait et continue d’enlever à la multitude l’influence sur les affaires générales, et un