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souveraineté à l’homme par ses commandemens et par ses mystères, une morale de continence et d’humilité importunaient à la fois l’orgueil et les faiblesses de ceux qui se jugeaient parfaitement sages et bons. Et tandis que le vœu général aspirait seulement à accroître dans la société la place de l’homme, l’effort des philosophes tendait surtout à supprimer dans la société la place de Dieu.

Si, depuis le jour où nos révolutions commencèrent de s’essayer au nom de la volonté publique, le respect pour elle eût été sincère chez tous les réformateurs, jamais ce plan d’athéisme ne fût passé des théories dans les faits, car il n’a jamais cessé d’être le concept d’une minorité. Jamais volonté d’un peuple ne laissa un témoignage plus authentique, plus unanime, plus intelligent que les cahiers de 1789. Ils ne furent pas la voix d’un emportement ou d’une surprise, mais l’expression calme de vœux conçus à loisir. Ils ne portent pas seulement la signature confuse de la foule, mais les signatures distinctes de chaque classe, de chaque corps, de chaque intérêt les plus élevés et les plus humbles. Les cahiers sont pleins de réformes civiles et politiques, ils ne contiennent pas une attaque à la croyance religieuse et à la morale. Cette guerre n’était pas plus dans les projets de ceux qui firent la seconde République pour accroître l’influence du populaire sur le gouvernement. Elle n’était pas davantage dans le dessein de la France quand, après la chute du second Empire, et désillusionnée du pouvoir personnel, elle établit la troisième République par les mains d’une Assemblée conservatrice et chrétienne. Et pourtant, les changemens entrepris en faveur de la liberté ont toujours mené aux luttes religieuses. A la faveur tantôt de leur habileté, tantôt de la violence, les libres penseurs se trouvent les maîtres. Et la logique de leurs doctrines prépare toujours la même réforme. La raison attentive seulement à la vie présente et persuadée que l’homme a cet étroit domaine et ce court espace pour accomplir sa destinée, c’est-à-dire être heureux, aboutit à une foi, celle-ci : tout ce qui oppose un obstacle au bonheur immédiat de l’homme est un désordre social. Dès lors, les inégalités des conditions, des richesses, du labeur ne se justifient plus et les formes diverses du socialisme apparaissent comme légitimes. Et en attendant, tout ce qui asservit l’homme dans son existence personnelle, le mariage indissoluble, la famille