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brusquement par une opération plus ample, vers Arsiago et Arsiero, la situation s’est renversée. Les troupes royales qui, depuis la première, surprise, n’avaient plus reculé, recommencent à avancer. Évidemment, ou très probablement, la vigoureuse, la furieuse et victorieuse offensive prise à l’improviste par les Russes sur une grande partie de leur front n’y a point été étrangère. L’Autriche s’est vue subitement en tout autre posture qu’en posture de conquérante. A-t-elle dû, comme on le croit à Pétrograd, rappeler des troupes engagées ailleurs, et, de cette manière, la Volhynie ou la Bukovine ont-elles allégé le Trentin ? Les Italiens, qui sentent encore l’étreinte, ne paraissent pas en être convaincus. Pourtant il est certain qu’un corps d’armée, et peut-être plusieurs corps d’armée allemands, ont été enlevés de chez nous ; à moins qu’on ne se soit contenté de les faire passer d’un secteur à un autre et de les amener, c’est une supposition, des Flandres ou de l’Artois à Verdun ; mais, dans ce cas, comment et de quoi, sur la Dwina, Hindenburg s’est-il renforcé ? De quoi et comment se sont tant bien que mal regarnis les rangs autrichiens vidés par les assauts foudroyans de Broussilof ? Plus de 180 000 hommes, près de 200 canons, un matériel de guerre considérable, une province presque tout entière, des villes comme Czernovitz, des milliers de kilomètres carrés, pris ou repris ; une des armées autrichiennes séparée des autres, coupée en deux tronçons, eux-mêmes réduits à l’état de squelettes, rejetée dans les passes ou clouée à la muraille des Carpathes ; les Bavarois, au Centre, et les Prussiens, au Nord, ayant assez et trop à faire que de secourir leurs alliés en déroute ; Kimpolung et Kouty occupés après Czernovitz ; Kolomea menacée; tels sont, en une quinzaine, les résultats proprement militaires. Les conséquences politiques ne sont pas moindres ; elles sont plus importantes encore. C’est premièrement un effet moral, la démonstration, à la face du monde, amis, ennemis et neutres, que cette Russie qu’on disait morte depuis l’année dernière vit, au contraire, d’une vie intense et formidable, tirant de ses immenses réservoirs des ressources que toute la voracité d’une guerre infernale n’épuiserait pas en dix ans. C’est aujourd’hui, ou ce sera demain, le contre-coup d’événemens heureux sur la Roumanie, à la frontière de laquelle tout se passe, vers qui refluent les débris de l’armée Pflanzer pourchassée, et qui regarde, troublée et nerveuse revenir à elle une occasion, une chance, une possibilité. Sans doute, dans le même temps, Verdun est pressé et Vicence ne respire pas encore tout à fait librement. Mais si, avec une coordination que tant