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musicien ne sont pour lui que le prélude de sa propre fête. »

A ce curieux exemple de critique d’art, ou de deux arts, peinture et musique, mêlés, fondus l’un dans l’autre, je ne sais rien d’analogue, hormis certaine analyse, également en partie double et comme transposée, de la Sainte Cécile de Raphaël, par Liszt. Mais bientôt voici la musique seule, voici la musique reine : musique classique cette fois, musique latine, celle que nous avons, nous aussi, nous Français, le droit de reconnaître et d’aimer comme nôtre. Au discours de Stelio, dans la salle du Grand Conseil, un concert succède. L’œuvre exécutée est l’Arianna du vieux Marcello. Dès les premières notes, le caractère, le grand style se révèle. « Une idée sonore, nette et forte comme une personne vivante, se développait selon la mesure de sa puissance. » Rien qu’à ces mots, ne sentez-vous pas qu’il ne va plus être ici question de Wagner ? En effet, durant des pages, un commentaire du drame lyrique italien se développe, aussi éclatant, aussi sain, aussi débordant de vie et de joie, que l’analyse de l’autre, l’allemand, était sombre, maladive, et ne respirant que la mort.

Oui, la vie et la joie animent, exaltent ce magnifique et somptueux dithyrambe en l’honneur du vieux et bachique chef-d’œuvre vénitien.

« Il (Stelio) tressaillit à l’éclat des voix humaines qui saluaient d’une triomphale acclamation le dieu invaincu :

Viva il forte, viva il grande !

« La salle profonde résonna comme une immense timbale vigoureusement frappée et le résonnement se propagea par l’escalier des Censeurs, par l’escalier d’or, par les passages, par les vestibules, jusqu’aux puits, jusqu’aux fondemens du palais, comme un tonnerre d’allégresse dans la nuit sereine.

« Dans cet impétueux mouvement fugué, les basses, les contralti, les soprani répétaient l’acclamation frénétique vers l’Immortel aux mille noms et aux mille couronnes… Toute l’antique ivresse dionysiaque renaissait et s’épanchait en ce chœur divin… Dionysos libérateur réapparaissait tout à coup aux yeux des hommes sur les ailes du chant, couronnait pour eux de félicité cette heure nocturne ainsi qu’une coupe débordante, plaçait devant eux une fois encore les biens sensibles de la vie. »