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puissance de destruction se manifestait en la femme magicienne contre l’homme qu’elle avait élu, qu’elle avait voué à la mort… La passion mettait en elle une volonté homicide, réveillait dans les racines de son être un instinct hostile à l’être, un besoin de dissolution et d’anéantissement. Elle s’exaspérait à chercher en elle et autour d’elle une puissance foudroyante qui frapperait et détruirait sans laisser de trace. » Quand Iseult, au second acte, éteint et foule aux pieds la torche annonciatrice, c’est avec une joie farouche, et de cette joie son cœur bondit non seulement à l’approche de l’amour, mais de la mort. « Elle offrait sa vie et celle de l’élu à la nuit fatale ; elle entrait avec lui dans l’ombre pour toujours. » Critique littéraire, va-t-on dire, ou de littérateur et de poète, partant extra-musicale. Attendez : voici qui va droit à la musique, au fond même de la musique et jusqu’au foyer du mal, mais, — il nous semble du moins, — pour s’y complaire et non pour s’y opposer : « Dans l’impétuosité des progressions chromatiques, il y avait la folle poursuite d’un bien qui se dérobait à toute prise, quoiqu’il resplendit très proche. Dans les changemens de ton, de rythme et de mesure, dans la succession des syncopes, il y avait une recherche sans trêve, une convoitise sans limites, il y avait le long supplice du désir toujours déçu et jamais éteint. L’effrayante vertu du philtre opérait sur l’âme et sur la chair des deux amans déjà consacrés à la mort. Rien ne pouvait éteindre ou adoucir cette ardeur fatale, rien, hormis la mort. Ils avaient tenté vainement toutes les caresses ; ils avaient recueilli vainement toutes leurs forces pour s’unir dans un embrassement suprême… Leur substance corporelle, leur personnalité vivante, tel était l’obstacle. Et une haine secrète naissait chez l’un et chez l’autre, un besoin de se détruire, de s’anéantir, un besoin de faire mourir et un besoin de mourir. »

La mort ! Toujours et partout la mort ! Comme l’opéra, c’est d’elle que le roman célèbre le triomphe. Toute activité, toute personnalité détruite, tout effort stérile, toute lutte vaine et toute victoire impossible ; tout être enfin englouti, abîmé, dans le néant… Oh ! que nous aimons mieux, comme principe et comme fin, non seulement d’une œuvre isolée, mais de tout un art, cette dédicace, inscrite au seuil d’une de ses partitions par un de nos grands musiciens à nous : « Je souhaite que mon humble travail soit de quelque utilité pour l’accroissement de la