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très loin s’élever sur le ciel comme des pyramides d’Egypte, et qu’on appelle des crassiers : masques, forteresses et observatoires.

Le limon argileux conserve au pays son humidité. S’il n’a point de bois, que quelques vergers, il est du moins verdoyant. Partout des haies bordent les chemins. Les ondulations du sol se déroulent, suivant le mot du duc d’Aumale, comme une houle déterminée par un vent du Nord-Ouest. Il est évident que ces mouvemens du terrain règlent ceux des armées. Chaque parti aura tendance à s’établir sur une crête, et les axes d’attaque seront perpendiculaires aux ondulations. C’est ainsi qu’en 1648 l’armée de Condé d’une part et l’armée espagnole de l’autre s’étaient rangées sur deux hauteurs parallèles : l’armée espagnole de Lievin à Lens, l’armée de Condé en avant de Loos, sur cette cote 70, qui redeviendra si célèbre dans les combats de septembre 1915. — De la même façon, pendant la guerre actuelle, les attaques des Français, en décembre de 1914, se sont faites Nord-Ouest au Sud-Est, de rideau à rideau, d’abord sur Vermelles, puis sur le Rutoire, puis sur Loos.

Mais pour comprendre un pays ondulé, il faut presque toujours se représenter non pas une houle, mais deux systèmes de houles se croisant à angle droit. Nous venons de voir des plis qui font face au Nord-Ouest. En arrivant devant Lens, nous rencontrons un autre système d’accidens, perpendiculaire au premier, c’est-à-dire regardant au Nord-Est, mais beaucoup plus important. Il s’agit cette fois d’une véritable cassure du sol. A qui vient du Nord elle apparaît comme une falaise abrupte, dont le bord s’abaisse par paliers et terrasses, et qui constitue la position de Notre-Dame-de-Lorette. Sur la cime on est à la cote 194, et on domine de près de 140 mètres toute l’étendue des charbonnages.

Cette colline de Notre-Dame-de-Lorette a la forme d’une longue arête, la pointe au Sud-Est et tournée vers Lens, qui est au pied. C’est à la fois un observatoire, un cap, une forteresse et la limite de deux régions. Bien mieux ; sur cette hauteur, la nature elle-même a élevé un édifice particulier ; elle a laissé là des sables, en partie agglomérés en grès, qu’elle a enlevés partout ailleurs en Picardie ; de sorte que nous avons la surprise de trouver là-haut un bois, jeté en travers sur la colline, comme une couverture sur l’échine d’un cheval. C’est le bois de Bouvigny.