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a, en Grèce, le Roi, le gouvernement et le peuple : négligeons le Parlement, qui n’est plus un Parlement et ne compte plus, après le tour de passe-passe d’élections sans vertu et comme vidées par l’abstention des deux tiers du corps électoral. Le Roi est avant tout un excellent parent, invraisemblablement féru de la famille de sa femme et qui reste étourdi de l’honneur autant que du bonheur qu’il leur doit ; peut-être un peu aiguillonné aussi de cette crainte qui ajoute un charme, amer et exquis, à l’amour. Quand des flatteurs, — tout prince a les siens, — le comparent aux plus grands hommes de la Grèce, même antique, et remontent à des milliers d’années avant de trouver son pareil, ils l’assomment sous le pavé d’un compliment dont il ne peut manquer d’être plus étonné que personne. Ce n’est pas cette cloche qui tintait aux oreilles du diadoque Constantin après la première guerre gréco-turque, et les officiers ne faisaient pas alors des cabales pour l’acclamer. On ne lui décernait les surnoms ni de Nicator ni de Poliorcète. Il a fallu, pour en faire un stratège, la seconde guerre balkanique : ce sont des réputations qui se perdent plus facilement qu’elles ne s’acquièrent, et les rois ne mesurent jamais assez tout ce qu’ils peuvent perdre.

Quant au gouvernement, il a pour chef, en M. Skouloudis, un vieillard, comblé d’ans comme Nestor, et fécond en ruses comme Ulysse, avec la barbe, sinon la tête, de Platon. La secte des philosophes auxquels il se rattache est celle des philosophes embarrassés, parce qu’ils ont entrepris témérairement de résoudre des questions insolubles. Dans le conflit déchaîné autour de la Grèce, il y avait pour elle deux positions possibles et une position impossible : faute de fermeté de cœur ou de clarté d’esprit, son gouvernement a choisi l’impossible. Elle pouvait se ranger avec les Empires du Centre ; elle pouvait, et sans doute elle devait, en considération plus encore de son avenir que de leur passé, prendre parti pour les Puissances qui furent ses créa triées et sont restées, en dépit d’elle-même, ses protectrices : la seule chose qu’elle ne pût pas faire, c’est celle qu’on s’épuise à lui faire faire, de se cacher, de se terrer dans une neutralité qui ne peut durer que par l’hypocrisie et cesser que par la trahison. Le peuple a deux horreurs trop justifiées, mais contradictoires, qui se paralysent l’une l’autre et s’annulent : celle du Bulgare et celle de la guerre. Lorsqu’il est admis à manifester, pourvu que ce ne soit qu’une manifestation, ses sympathies ne sont pas douteuses ; dans la circonscription même de Sérès-Drama-Cavalla, par une majorité accablante, il élit un vénizéliste. L’armée ne serait pas une armée, si la bataille toute proche ne