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plus que la chair et le fer, l’Italie a la volonté, elle a l’âme. La guerre qu’elle fait n’est point une guerre ordinaire : c’est une guerre populaire, et non point vulgaire ; mais populaire dans toute la plénitude du terme, nationale au degré le plus éminent, et, en même temps, dynastique. C’est l’acte final d’une série qui procède de la Renaissance parle Risorgimento ; c’est un achèvement, qui ne peut à aucun prix Être un avortement. L’Italie ne saurait s’y tromper, l’archiduc héritier l’en a instruite dans une proclamation de style pseudo-napoléonien : ce que l’Autriche poursuit au delà des monts, c’est une réparation. François-Joseph ne veut pas que sa vieillesse désavoue sa maturité ; au bout de soixante ans, il n’a pas reconnu « le vœu des populations, » dont il ne reconnaît pas le droit. Pour l’Italie, comme en 1848, comme en 1859, comme en 1866, comme toujours depuis le premier frémissement de l’unité, il y va aujourd’hui des conditions nécessaires de son existence, c’est-à-dire qu’il y va de son existence même. Cette fois comme l’autre, cette fois vraiment, jusqu’au bout, Italia farà da se ; elle fera, elle maintiendra avec les armes, selon la parole immortelle. Avec ses armes, ses propres armes, et les armes de l’alliance où elle s’est librement, spontanément, noblement engagée. Le premier mot qu’elle a prononcé, quand les Tedeschi se sont rués de Rovereto, celui qui est venu sur toutes les lèvres, a été le nom de Verdun ; et par là s’est marquée dans l’épreuve la solidarité complète qui se marque dans l’effort et qui se marquera dans la récompense. Assaillie, l’Italie n’avait pas besoin de demander de l’aide : tout aussitôt, à l’autre extrémité de l’immense champ de bataille, le colosse russe a fait pesée : la Bukovine va décongestionner le Trentin. L’Orient et l’Occident, à ce jeu du monde, sont comme les deux plateaux d’une balance que les Empires du Centre ne peuvent charger qu’alternativement. Contraignons donc l’ennemi à charger les deux plateaux à la même heure ; ni l’un ni l’autre ne le sera plus assez ; il est perdu.

Voici, justement, que l’Orient vient de ressentir une autre secousse, plus légère, mais qui peut grandir. Après avoir depuis trois mois pourfendu verbalement la péninsule balkanique sans bouger d’une semelle ou en ne bougeant que pour des promenades militaires, les Germano-Bulgares se sont mis en mouvement. Les Germano-Bulgares ou les Bulgaro-Allemands, car il n’importe guère que Guillaume soit devant ou que Ferdinand soit derrière. Ils ont, sans coup férir et surtout sans coup subir, occupé Rupel et, en aval, quelques forts de la Strouma. Ce n’est pas que la poudre n’ait point parlé, mais, si j’ose le dire, pour suivre la métaphore, elle a parlé