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politique. Nous savons donc pourquoi le kronprinz, héritier du trône et confident de l’anxiété de Guillaume II, entasse les monceaux de cadavres. Politique intérieure : d’un bout à l’autre de l’Empire, à la fin de février, alors qu’on se représentait la chute prochaine de « la principale forteresse du principal ennemi, » les élèves des écoles ont fait la même dictée : Importance de Verdun ; tous les journaux ont publié une sorte de communiqué intitulé : Verdun cœur de la France. Politique extérieure : Verdun tombé, on escomptait le désarroi moral chez nous, chez nos alliés et chez les neutres ; Verdun pris, l’Allemagne, dit-on, aurait étonné la terre par la modération des conditions de paix qu’elle aurait offertes à la France. Cette modération aussi, que nous nous félicitons de n’avoir pas eu à apprécier, est une indication du dynamomètre. Mais, nous le savons, ce n’est pas de son bon naturel qu’était venu à l’Empereur ce souci. La guerre d’usure, en imposant des sacrifices qui sont ou qui semblent être inégaux, n’agirait-elle pas comme un levain de particularisme ? Sans nous exagérer l’importance de pareils faits, qui ne se révélera qu’après la guerre, si le germe doit se développer, remarquons que la Saxe, la Bavière et le Wurtemberg se sont associés pour « les cartes de viande, » en dehors des États du Nord de l’Empire. Dans l’Allemagne occidentale se dessine, pour la centralisation des vivres, une organisation qui, par ses contours géographiques, copie ou calque exactement la Confédération du Rhin. M. Delbrück, jugé insuffisant, peut s’en aller, M. Helfferich passer des Finances à l’Intérieur, M. de Batocki être institué « dictateur de l’alimentation. » L’Allemagne n’en aura pas un morceau de pain de plus et pas une terreur de moins. La grasse et docile Allemagne a appris par la faim le mécontentement (nous usons exprès du mot le plus faible). Encore une fois, ce n’est rien outrés peu de chose, pour le moment : pas même un pli, à peine une ride. Cependant il pourrait y avoir là-dessous un très lent et très sourd travail qui, (sur cette race grisée d’orgueil, opère peut-être plus profondément que ne l’eût fait un Waterloo en juin 1915. Si l’Allemagne veut gagner le coup de cloche, gagner du temps, c’est que, l’antique proverbe le dit : « qui a temps a vie. » Inversement, qui n’a pas beaucoup de vie n’a pas beaucoup de temps ; et il lui faut, en conséquence, se presser, s’agiter, se dépenser en double. Lorsque l’Allemagne n’aura plus que deux obus à tirer, elle les tirera ensemble pour faire plus de bruit, à défaut de plus de mal : après quoi, elle lèvera les bras : « Camarade ! » A l’heure même où elle attaque à Verdun, où l’Autriche attaque sur l’Adige et sur la Brenta, elle voudrait