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à la fois et les États-Unis et cette portion, militairement hystérique, du peuple allemand qui croit dur comme fer, parce qu’on s’est pendant un an acharné à le lui faire croire, que le sous-marin est la meilleure arme de l’Empire et que par conséquent il en doit faire un usage incessant et intensif, suivant l’idée géniale de M. de Tirpitz, victime d’intrigues débilitantes. Aussi l’Allemagne torpille-t-elle toujours, puisqu’elle ne saurait s’en passer ; mais elle appelle l’attention de l’univers, et de l’Amérique d’abord, sur les précautions qu’elle prend, et qu’elle aurait le droit de qualifier d’oratoires, car elle consent à « arraisonner » les navires de commerce avant de les couler ; avant d’envoyer au fond de l’eau les voyageurs, elle pousse la complaisance jusqu’à leur expliquer pourquoi elle les noie ; par exemple, dans le cas du Pestalozzi : affaire d’éducation. Notons pourtant que, dans le cas, tout voisin, du Cymric, l’équipage entier, 107 officiers et matelots, échappés par miracle, déclare qu’aucune de ces précautions n’a été prise. L’erreur, l’accident ou le malheur du Sussex a fait l’objet d’une confession tardive, mais formelle ; cependant, le lieutenant J. S. Otto Steinbrick, qui commandait le sous-marin torpilleur, l’U 18, a reçu de l’avancement, outre la croix de l’Ordre pour le Mérite : c’est ce qui constitue jusqu’ici tout son châtiment. Tandis que l’Empire allemand s’inclinait devant la République américaine, l’ancien attaché naval Boy-Ed, expulsé des États-Unis pour l’incorrection de sa conduite, était décoré de l’Aigle-Rouge de 3e classe avec cravate : à Washington, il eût fini par en avoir une de bon chanvre. Le jeu, le double jeu continue : deux visages, deux attitudes, deux morales, deux politiques : une pour le dedans, une pour le dehors ; dans la face féroce, le sourire patelin ; les yeux hors de la tête, et, sur les lèvres, suivant la pente des événemens, le chant, aux strophes alternées, de la superbe et de l’humilité.

Cette duplicité est si évidente que certaines personnes, particulièrement méfiantes par tempérament ou par profession, se sont un instant imaginé que, comme il y a deux visages, il y avait eu, en réalité, deux réponses : la longue note d’un style rogue, arrogant et grognon, du 4 mal, et une autre, ayant toute la souplesse d’une déclaration purement orale, transmise, à l’issue des réunions tenues au grand quartier général, soit par M. Gérard, soit par le comte Bernstorff ; en somme, un document public et une assurance secrète. Quoi qu’il en soit de ce point d’histoire, qui sera un jour éclairci, il y a eu en effet deux répliques américaines, la deuxième signée de M. Robert Lansing, secrétaire d’État des États-Unis, confirmant, précisant