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Triple, puis Quadruple, puis Quintuple, puis Sextuple Entente ne gagnait pas en efficacité autant qu’elle s’augmentait en volume. Un Montesquieu, un Tocqueville, un Taine, s’ils eussent vécu, en auraient conclu qu’il manquait un organe de coordination. Et de fait, entre les différentes nations de l’Entente, absence presque totale de cet organe ; à l’intérieur même de chaque nation, il n’était pas toujours suffisamment actif. L’Entente n’avait point, apparens, évidens, un cerveau directeur, un système nerveux central, une pensée qui s’impose, une volonté qui se fait obéir. Par-ci, par-là, il perçait bien quelque germe, quelque embryon, mais que des obstacles de tout genre, immensité des distances, interruption des communications, différence des climats, des mœurs, des traditions, des institutions, empêchaient de se développer. Politiquement aussi, l’Alliance des Empires du Centre avait l’avantage de la manœuvre par lignes intérieures. Quand elle s’annexa la Turquie et la Bulgarie, elle n’eut qu’à les subordonner : ce n’étaient pas des États de la même grandeur qu’elle, ni du même degré ; et ces États n’entrèrent point dans sa société, mais dans sa sujétion. Au contraire, l’Entente ne contient ni Turcs, ni Bulgares. Peuplés de centaines de millions d’hommes comme la Russie et l’Empire britannique, ou seulement de quelques millions comme la Belgique et le Portugal, occidentaux comme la France ou orientaux comme la Serbie, extrême-orientaux comme le Japon, les huit États marchent de pair ; leurs civilisations sont différentes et peuvent même sembler opposées, mais se dirigent par les voies les mieux connues de chacun d’eux vers ce quelque chose de commun et d’universel qui est proprement « la civilisation. » Aucune de ces huit Puissances égales et libres n’accepterait d’être subordonnée à aucune autre : néanmoins, il fallait entre elles une discipline ; et il ne restait donc qu’à les coordonner ; mais, pour qu’elles y consentissent, il fallait tout d’abord que le besoin créât l’organe jusqu’alors défaillant, et c’était d’autant plus difficile qu’elles étaient huit.

En ce qui concerne la guerre elle-même, la position des huit Puissances qui ont pris part à la Conférence de Paris était très nette, ne laissait point de place à l’équivoque, mais n’apparaissait pas rigoureusement identique. Il serait instructif, il serait presque édifiant de dresser le tableau des déclarations de guerre : dût-on n’en relever que les principales, celles faites aux adversaires principaux ou par les adversaires principaux, en montrer l’enchaînement serait établir la vérité, évoquer la justice, porter ou préparer la sentence définitive ; et toute une morale tiendrait dans cette simple chronologie. Le