Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
869
NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

Lorsque nous avons passé auprès du puits grec, où des femmes puisaient de l’eau, une d’elles s’est détachée du groupe et elle a jeté sur le cercueil une pauvre petite fleur, qui avait poussé Dieu sait où, et au prix de quels eiîorts !


Moudros, septembre 1915.

Nos après-midi se passaient souvent à causer longuement. Assis en rond, les hommes, juchés sur leur sac ou encore au pied de leur lit, les plus malades enfouis sous leur drap, moi assise sur quelque caisse ou sur un vieux banc qui ne tenait pas très fort. On parlait un peu de tout. Récits de guerre, visions de combats, couchers de soleil contemplés là-bas, dans le détroit, couchers de soleil uniques, auxquels n’étaient point restés insensibles les rudes gars qui s’y étaient battus. On parlait aussi des bombardemens successifs entrepris par l’escadre alliée.


COMBATS EN MER

Dans notre salle, un col bleu venait quelquefois, apportant sa part d’anecdotes. Et voici ce qu’il nous raconta :

— Lorsque, le 19 février, nous avons reçu l’ordre du vice-amiral Carden d’aller réduire le fort de Koum-Kalé… ce que nous étions contensl Je crois qu’on aurait mis les bouchées doubles pour hâter l’instant qui allait nous permettre de nous battre à notre tour… Oh ! ce que nous étions contens !

Ici, il respira largement, comme pour se dilater. Évidemment, le souvenir de cette mémorable journée était bien vivant en lui.

— Notre Suffren, comme on l’avait soigné ! Nous sommes partis à toute allure. À peine au but, on a commencé un tir indirect à grande distance (11 000 mètres) ; puis nous nous sommes avancés jusqu’à 6 000 mètres… Notre tir était bien réglé, et nous avons fait rapidement du bon travail. Aussi, lorsque le cuirassé britannique Vengeance s’est amené, battant pavillon du contre-amiral de Robeck, parce qu’il voulait faire une pointe offensive à petite distance, c’est Koum-Kalé seul qui n’a pas répondu. Les trois autres ouvrages d’Hellès, Seddul-Bahr et Orhanié, ne se sont pas fait faute de tirer, eux. La pauvre Vengeance, ainsi encadrée, était un objectif de premier