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que, traité de la sorte, il ait trouvé que ses « pleins pouvoirs » étaient en réalité peu de chose et qu’il ait eu de la peine à croire à la « prépondérance du pouvoir civil. « Le Conseil fédéral et le général en chef, dans la situation fausse où ils se sont vus brusquement placés l’un vis-à-vis de l’autre, ont pris le bon moyen : ils se sont expliqués. Le Conseil fédéral a revendiqué ses droits. Le général en chef a protesté de son respect. La Commission compétente a enregistré ce nouveau pacte mutuæ defensionis et associationis civicæ. Nul doute que l’Assemblée fédérale, saisie à son tour, ne s’empresse de résoudre par une conclusion aussi heureuse une querelle qui eût pu s’aigrir.

Mais, si sérieuse que fût cette première difficulté, la seconde est pire. Elle a des racines plus profondes, des ramifications plus étendues. Elle n’est pas seulement d’ordre constitutionnel, mais d’ordre national. Il faut avoir toujours présentes à la pensée la configuration géographique de la Suisse et sa formation historique, les conditions naturelles et les circonstances politiques de son existence et de son développement. La Suisse, divisée à l’intérieur par ses montagnes et ses vallées en de nombreux compartimens, s’ouvre, vers le dehors, sur trois nations : la France, l’Allemagne et l’Italie. Ce sont trois civilisations, ou du moins deux, la germanique et la latine, dont elle subit les attractions divergentes, d’autant plus fort qu’elle use couramment et même officiellement des trois langues, le français, l’allemand et l’italien. La pente des relations commerciales, qui suit celle des voies de communication, l’entraîne aussi de ces trois côtés à la fois. Au dedans, la croissance de la Confédération s’est accomplie en cinq périodes : les trois Cantons, les Huit Cantons, les Treize Cantons, les Dix-neuf Cantons, les Vingt-deux Cantons. Le noyau primitif, était allemand (les Trois cantons forestiers, de 1291 à 1351) ; allemands encore, les Huit cantons (de 1351 à 1481) ; allemands toujours, à la presque unanimité, les Treize cantons (de 1481 à 1803) ; allemands enfin entrés grande majorité, sauf le Tessin (italien), Vaud (romand), les Grisons (pour partie, latin ou romanche), allemands quinze ou seize des Dix-neuf cantons (1803-1814). Ce n’est qu’au Congrès de Vienne que sont introduits les trois cantons romands, d’affinité française, du Valais, de Neuchâtel et de Genève, par l’accession desquels s’achève « l’intégration » de la Suisse en ses Vingt-deux cantons. Mais, avant cette intégration, et même après, des forces de dissociation ne cessent de travailler et de tirailler les membres du Corps helvétique. Dans l’ancienne Confédération, toute allemande pourtant, c’étaient la rivalité des cantons urbains et des cantons ruraux ; l’opposition des courans