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qu’une « feinte, » au prix de laquelle on n’aurait pas regardé, afin de mieux couvrir un dessein différent, un plan qui se déroulerait ailleurs, ou si c’est une attaque « à fond, » après quoi, la malice allemande serait provisoirement à bout d’invention ou de ressources.

Nous ne les suivrons pas, on le comprend, en des considérations techniques d’où nous risquerions de ne point sortir. Mais supposons, comme il devient de plus en plus vraisemblable par la durée et par l’intensité de l’effort, que l’attaque sur Verdun soit bien le grand coup, l’attaque « à fond. » Ce serait une erreur de conclure : les Allemands nous ont attaqués à Verdun, quoique ce soit un des points les plus forts de nos lignes. Il serait plus logique et plus psychologique de dire : les Allemands nous attaquent à Verdun, parce que c’est un de nos points les plus forts. Les argumens purement militaires ne manqueraient pas, et la presse d’outre-Rhin, pour pallier un échec qu’elle prévoit, en a déjà rassemblé plusieurs : Verdun s’enfonce comme un coin entre deux positions allemandes d’une importance particulière, la forêt de l’Argonne et la dent de Saint-Mihiel ; des hauteurs de la Meuse et de la plaine de la Woëvre, les Français peuvent à leur aise troubler les communications de l’ennemi, et, l’assaillant à l’improviste, mettre en danger d’être isolées les troupes allemandes qui occupent des positions plus avancées.

Assurément, l’entreprise est aventureuse, mais la guerre, qui est calcul, est aussi aventure. De même qu’il faut réfléchir et préparer, il faut oser. Ou plutôt, de même qu’il est des temps de réfléchir, de même il est des temps d’oser. Au surplus, les Allemands se flattent d’avoir si parfaitement combiné leur affaire, qu’ils ne pensent qu’au succès et à ses bénéfices, dont le moindre ne serait pas de réintimider l’univers en démontrant par le plus difficile l’invincibilité allemande. Qu’importe, en regard de ce résultat, un aléa réduit au minimum, la part infime de hasard qu’on ne saurait éliminer par conseil et sagesse, et qui du reste peut s’appeler la chance ? Sans doute, si l’on se trompait... ; mais c’est de certitude qu’on doit se remplir les yeux et l’esprit ; or, c’est la certitude allemande, que l’Allemagne est au-dessus de tout. Et peut-être, d’autre part, que l’Allemagne n’y pense plus tant, ni de si loin ; peut-être maintenant ses mouvemens sont-ils moins commandés, moins coordonnés qu’on ne le croit ; peut-être y entre-t-il plus qu’on ne le croit d’impulsions et de réactions instinctives. On a, à son endroit, usé jusqu’à en abuser de comparaisons peu avantageuses. On l’a comparée au taureau piqué de banderilles et qui fonce, à la bête en cage cherchant une issue et se cassant la tête