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à l’ordinaire, la presse d’outre-Rhin. Qu’il s’agisse d’exciter le peuple allemand contre les Russes ou contre les Anglais, d’obtenir son adhésion à l’envahissement de la Belgique ou de justifier à ses yeux les massacres de femmes et d’enfans par les sous-marins, toujours une série de proclamations officielles et de télégrammes « sensationnels » commence par répandre à travers tout l’Empire un ou plusieurs mensonges de dimensions « colossales ; » et toujours le « lancement » audacieux de ces mensonges, reproduits simultanément par tous les journaux, a vite fait de créer dans l’Allemagne entière un mouvement d’opinion si puissant et si impétueux que nul démenti des faux bruits d’où il est né ne vaut plus, ensuite, à le réprimer, — de telle sorte que rien n’empêche dorénavant les mêmes journaux de « se mettre en règle » avec la vérité en avouant, tôt ou tard, leur crainte d’avoir été trompés par des correspondans « inexactement renseignés. »

Voici, par exemple, l’invention mémorable d’un « raid » d’aviateurs français au-dessus de villes allemandes, un ou deux jours avant la déclaration de guerre ! Le 2 août, la Gazette de Cologne affirmait avoir reçu l’avis, « de source militaire, » que « des aéroplanes français avaient lancé des bombes dans le voisinage de Nuremberg. » Les journaux de Nuremberg, en vérité, reconnaissaient que l’on n’avait vu aucune trace de ces aviateurs ennemis « dans le voisinage » de leur ville : mais leurs renseignemens, à eux, faisaient mention de bombes lancées par des Français sur Cologne et d’autres villes des bords du Rhin. D’après un journal de Munich, la visite meurtrière d’avions français aurait eu lieu à Wesel, près de la frontière hollandaise. Je me borne à ces quelques citations, mais l’on en trouvera maintes autres encore, dans le livre de M. Thomas Smith, qui toutes nous présentent la même particularité curieuse : pas un journal qui n’annonce une violation du territoire allemand par des aviateurs français, mais tandis que les journaux du Nord se plaisent à envoyer ces aviateurs sur des villes du Sud, ceux du Sud, inversement, les représentent « survolant » des villes du Nord ! Seule, la Gazette de Francfort réclame expressément pour sa ville l’honneur d’avoir été choisie par nos compatriotes : et encore est-elle forcée de supposer que les bombes qu’elle prétend avoir vu lancer « ont dû éclater en l’air, » — ou peut-être s’envoler miraculeusement vers le ciel, — car le fait est que « nulle trace quelconque n’a pu en être découverte sur le sol. » Après quoi le chancelier von Bethmann-Hollweg, bien assuré maintenant d’être cru sans réserve de ses auditeurs, légitime