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pureté de ses intentions, à la continuité et à la portée de ses victoires, à la certitude de son triomphe. Par ces temps où l’opinion règne, même dans les pays où le gouvernement est le moins démocratique, on ne peut susciter un effort public sans l’assentiment général. Il faut demander, outre les sacrifices sanglans du champ de bataille, tant de choses touchant à la vie de tous et de chaque jour ! De l’argent d’abord ; puis une gêne de tous les actes, une restriction de toutes les libertés quotidiennes. C’est la réquisition des denrées et des métaux, la destruction du bétail, l’obligation du pain de guerre, etc. La nécessité de convaincre est plus évidente encore s’il s’agit des soldats : on ne se bat de bon cœur ni pour une cause injuste, ni pour une cause perdue.

Le poids des forces morales étant si lourd dans la balance, naturellement on vise à en alléger le plateau adverse autant qu’à en charger le sien propre. Il s’agit de jeter dans la masse du peuple ennemi le découragement, pour qu’il se propage jusque dans son armée et pour que la voix publique réclame la paix à tout prix. On mesure à cet effet la formule des communiqués officiels ; on fait passer des nouvelles insidieuses par le circuit des pays neutres. On tente d’utiliser les vieilles amitiés privées, qui servent de prétexte à des correspondances tendancieuses, avec prière de faire lire autour de soi. On organise en sous-main des pétitions de mères contre la prolongation du carnage. On joue de toutes les cordes. C’est que jamais la guerre n’a tant été l’œuvre de la nation entière ; c’est qu’elle ne s’est jamais tant faite avec l’âme.

Et sans doute, n’a-t-elle jamais demandé tant à l’âme. Qui donc annonçait que dans la douceur de la civilisation les courages s’amolliraient ? Parole de pessimiste, bien contredite par l’événement. Il est douteux qu’en aucun temps on ait vu lever pareille moisson d’héroïsme. La preuve en est faite par des milliers de lettres, de récits, de rapports officiels, par les citations à l’ordre du jour, par le spectacle quotidien de ces centaines de mille héros répandus parmi nos deux ou trois millions de soldats en armes. Les d’Assas sont légion. Ces traits qu’on n’inventerait pas et dont un seul fait l’honneur d’une époque, foisonnent autour de nous. Heure et race sublimes ! Mais nos alliés et nos adversaires donnent, eux aussi, de nombreux exemples d’un courage égal à celui des plus beaux soldats de