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pour protéger sa faiblesse ? Et dans ce peu de temps qu’il a pu la garder, combien a-t-il laissé perdre de ces instans sans prix ! Un geste, un mot qui semblaient insignifians, quelle importance ils reçoivent de l’amère consécration ! Ah ! s’il avait su ! Maintenant les années peuvent venir : que lui importe ? tout ce qui n’aura pas reflété le cher visage lui est étranger. Maintenant que faire, après que tout est fini, et comment ruser avec le néant ? Par quels vains artifices entretenir l’illusion que celle qui n’est plus est encore présente ? Du moins que les choses où s’est encadrée sa grâce éphémère restent intactes ! Et chaque jour agenouillé sur sa tombe, celui qui survit ira s’entretenir avec elle, lui porter des nouvelles de la maison ! Hélas ! ne pouvoir même rien soupçonner de ce qu’elle est devenue dans ce noir mystère où elle a sombré ! Le voilà le dédale où la raison ne se retrouve plus. En présence de ces grandes douleurs qui ravagent une âme, on a coutume de faire appel au temps, on parle d’apaisement. Ces vers, et c’est ce que j’en aime, ne portent nulle part la trace de cet apaisement sacrilège. Après cela, est-il besoin de répondre à l’objection d’après laquelle ce serait profaner certains sentimens trop intimes que de les livrer au public ? Le poète a une mission ; il chante sa douleur ; mais tous ceux qui ont perdu un être faible, et cher, et qui leur était confié, y reconnaîtront leur propre douleur… Charles de Pomairols n’a jamais écrit que pour une élite : elle lui restera fidèle. Plus que certaines réputations bruyantes, elle gardera cette mémoire discrète et noble. Ainsi ce poète, étranger aux soucis de son époque, ignorant des troubles de la passion, et qui a volontairement restreint son horizon, aura quand même sa place dans la phalange sacrée : il se l’est faite, presque sans y songer, à force de sincérité et de belle candeur.


RENE DOUMIC