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qui se perpétue, une victoire remportée sur l’éternelle fuite du temps. Le domaine s’est accru peu à peu, par l’effort successif des générations, et celui qui en reçoit l’héritage se tient pour obligé de ne le laisser qu’agrandi à ceux qui viendront après lui. Il y travaille non pas pour lui, mais pour d’autres qu’il ne connaîtra pas ; il ne lui suffit ni de semer des blés, ni de cultiver des roses : il plante des chênes afin de ménager à ses arrière-neveux l’ombre héréditaire qu’ils lui devront. Des siècles passeront et, un jour, le vent qui frémira parmi le feuillage aérien fera courir un frisson de gloire jusqu’au lointain semeur.

A vivre ainsi tout près de la terre, dans la fréquentation quotidienne des forêts, des plaines, des montagnes parcourues à toutes les saisons de l’année, à toutes les heures du jour et de la nuit, le poète ressuscite en lui un état d’âme primitif et retrouve le sens des anciens mythes naturalistes. Certaines pièces antiques de Ch. de Pomairols font songer, tantôt pour le tour libre, aisé, pour la forme fluide, aux vers les plus souples d’André Chénier, et tantôt, pour une sorte d’ivresse mystique, à l’auteur du Centaure. Je néglige telles rêveries sur les jeux de l’ombre et de la lumière qui changent les arbres de la forêt en autant de nymphes qu’Artémis domine de son front radieux : elles sont d’une grâce facile plutôt que nouvelle. Mais en face de sa maison le poète voit s’élever un coteau, toujours présent à ses yeux, et changeant d’aspect et de coloration suivant l’état de l’atmosphère : il salue en lui un témoin, un confident, un ami, fidèle jusque dans la mort, car le cimetière de campagne s’abrite sous son ombre protectrice. Aussi, comme il comprend que les anciens l’aient divinisé ! Et lorsqu’il déchiffre l’inscription votive, Mimonti deo, comme il a tôt fait d’en retrouver dans ses propres impressions le sens mystérieux et profond !

À cette inspiration se rattache une pièce fameuse, qui est probablement le chef-d’œuvre de Ch. de Pomairols : les Romains dans mon champ. Le souvenir de Virgile y plane : c’est le commentaire ardent et religieux du vers prophétique : Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris. Les laboureurs, en retournant le champ du poète, mettent au, jour des débris de l’époque romaine, des vases, des lampes, des médailles :


O Virgile, voilà qu’il est venu cet âge
Dont ton esprit plaintif concevait le présage,