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érudit, fouilleur d’archives et compulseur de parchemins. Ce n’était pas assez : pour atteindre la foule, il s’improvisa auteur dramatique ! On le vit chez les directeurs de théâtre, dans les coulisses, dans le guignol et sur le plateau. Il avait d’abord composé une Jeanne d’Arc de son cru, et elle n’est pas sensiblement plus médiocre que beaucoup d’autres signées de noms plus illustres ; puis, il avait restreint son ambition à rajeunir les anciens textes inspirés par Jeanne. Il avait translaté du vieux français en langage moderne le Mistère d’Orléans. Il le promenait à travers les fêtes scolaires, les patronages et les théâtres de verdure. Son zèle naïf et touchant atteignait à une sorte de beauté. Devant ses écrits sans art, mais imprégnés d’amour, on songeait à certains imagiers d’autrefois. Et c’était un anachronisme plein de saveur, de rencontrer au déclin du XIXe siècle ce dernier des Primitifs.

Des deux spiritualistes qui viennent de nous quitter, l’autre était un poète auquel on doit de très beaux vers. Le grand public connaissait peu Charles de Pomairols. Quand il se présenta à l’Académie, où il fut bien près d’être élu, les journaux se montrèrent peu documentés. Quand on apprit sa mort, les mêmes journaux s’accordèrent à déclarer que cela faisait encore un fauteuil vacant à l’AcadémieI C’est qu’il était déjà le poète d’une autre génération, ayant été presque le contemporain des maîtres d’hier, les Sully Prudhomme, les Heredia, les Coppée, qui le tenaient pour un des leurs. Puis on avait peu d’occasions de le coudoyer : il ne fréquentait ni les milieux mondains, ni les cercles littéraires. Il passait la plus grande partie de l’année à la campagne, puis il venait s’installer dans un vieil hôtel du faubourg Saint-Germain ; il aimait à y recevoir les jeunes poètes ; il les exhortait à cultiver les genres les moins à la mode ; même il avait fondé pour eux un prix de spiritualisme. Modeste, jusqu’à une sorte de raffinement dans la modestie, il jouissait en dilettante de sa demi-obscurité. Dans une pièce intitulée la Cabane, il imagine qu’un jour de pluie il s’est réfugié dans une hutte au fond des bois ; là, il songe aux amoureux de la renommée, avides de gagner les sommets éclatans, rêvant que par eux l’histoire s’accomplisse :

Et me serrant alors plus près du petit mur,
Je me dis, pénétré d’un étrange délice :
« O la douce retraite ! Oh ! que je suis obscur ! »