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franco-allemande était une question d’heures. Allions-nous être englobés dans la catastrophe, ou le miracle de 1870 allait-il se renouveler ? La loyauté de la France était évidente. L’Allemagne ne disait rien, et cela semblait de bien mauvais augure, mais M. de Below-Saleske était si rassurant !… D’ailleurs, la démarche anglaise et la menace qu’elle contenait implicitement ne serait-elle pas de nature à faire réfléchir Berlin ? D’après les derniers télégrammes, ne pouvait-on supposer que les forces allemandes réunies le long de la frontière glissaient vers la Moselle et qu’elles éviteraient de fouler le sol belge ?… Les motifs invoqués pour la violation du grand-duché et qui n’existaient pas vis-à-vis de la Belgique n’autorisaient-elles pas l’hypothèse[1] ? …

Nous essayions de nous raccrocher à cet espoir comme des naufragés à un bouchon de paille, quand un huissier ouvrit la porte, et, l’air inquiet, nous dit vivement et sans cérémonie : « Le ministre d’Allemagne vient d’entrer chez M. Davignon. »

Nous comprîmes tous trois qu’en ce moment solennel le sort de notre cher petit pays allait être fixé…

Dix minutes s’écoulèrent qui nous parurent des heures. Puis, à sept heures et demie, la silhouette hautaine de M. de Below-Saleske se détacha de l’autre côté de la cour, sous l’auvent vitré donnant accès à l’antichambre du ministre, et le représentant de l’empereur d’Allemagne, impassible, gagna la rue où son automobile l’attendait. D’un bond, nous fûmes dans le cabinet de M. Davignon. Il était vide, mais, au même instant, le ministre, qui était allé dans le bureau contigu appeler le comte Léo d’Ursel, son chef de cabinet, rentra, tenant à la main un papier, et suivi du comte, ainsi que de M. Costermans, sous-chef du cabinet. Tous trois paraissaient bouleversés.

— C’est mauvais, très mauvais, fit le ministre, qui était d’une pâleur extrême. Voici la note allemande que M. de Below m’a résumée. On exige que nous livrions passage à l’armée allemande.

— Et qu’avez-vous répondu, monsieur le ministre ?…

— J’ai pris le papier, j’ai dit que je l’examinerais avec le

  1. Le premier prétexte invoqué par l’Allemagne pour envahir le Luxembourg fut « la nécessité d’assurer la sécurité des chemins de fer dont l’Allemagne avait l’exploitation en vue d’une attaque de la part des Français. »