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minutieusement interrogés, demandé nos noms et nos professions. Je dois reconnaître qu’ils se montrent corrects, qu’ils soignent avec une égale sollicitude nos blessés et les leurs qu’on apporte toujours plus nombreux.

Devant cette attitude, nos alarmes se dissipent peu à peu et cette première nuit de captivité nous trouve plus tranquilles, mieux rassurés sur notre sort.

26 août. — Toute ma vie, cette journée me laissera un souvenir ineffaçable. Elle a bien manqué d’être ma dernière : sans mélodrame, je puis affirmer moi aussi : « J’ai vu la mort de près, et je l’ai vue horrible. »

Elle avait bien débuté cependant. Grâce aux quelques bribes d’allemand que j’estropie, j’avais été affecté aux chambres d’officiers. On n’en comptait guère qu’une demi-douzaine, assez légèrement touchés, et ma tâche ne s’annonçait ni trop déplaisante, ni bien compliquée. Je venais de prendre mon service, lorsque éclate tout à coup un violent brouhaha. Des injures, des menaces sont vociférées à notre adresse. Le poste de garde est appelé, les soldats nous rassemblent brutalement, nous frappant à coups de pied, à coups de crosse.

Voici ce qui s’était passé : allant vider un seau à pansemens, un infirmier français en avait lancé à la volée le contenu dans la cour. Le malheur voulut qu’il contint six cartouches, qu’un blessé, la veille, dans la crainte qu’on les trouvât sur lui, y avait stupidement jetées pour s’en débarrasser. En heurtant le pavé, l’une des cartouches avait explosé.

L’incident en lui-même, nous paraissait d’abord de minime importance et ne justifiant pas de tels excès de colère ; mais à la mine furibonde de ceux qui nous malmènent, à leur exaspération, à leurs violences, nous rappelant-les ordres de la veille, nous concevons trop vite avec terreur les tragiques conséquences qu’il peut entraîner pour nous. Voudrions-nous, au surplus, conserver une illusion que les mots Todt, Kriegsrath, mort, conseil de guerre, viendraient nous rappeler douloureusement à la réalité.

Après un semblant d’interrogatoire où nos protestations ne sont pas écoutées, on nous chambre dans la loge du portier. Nous devons être pileux à regarder, si lamentables qu’en nous apercevant, l’une des petites sœurs allemandes occupée à tourner une tisane sur un réchaud, se met à