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navale britannique, si celle-ci perdait un certain nombre de dreadnoughts dans une bataille décisive contre la Hoch see flotte[1].

A vrai dire, si les réflexions que je viens de citer traduisent bien encore les préoccupations du gouvernement anglais, ces appréhensions paraissent fort exagérées. Outre qu’en tout état de cause, il semble difficile qu’on envisage aux États-Unis la possibilité d’un conflit armé avec la Grande-Bretagne, quelque acuité que puissent prendre des discussions de l’ordre commercial et au moment où le personnel dirigeant de la grande république reproche amèrement à l’Allemagne le refus que fait celle-ci de désavouer ses commandans de sous-marins, comment oublierait-on là-bas que l’Angleterre a deux alliés, la France et le Japon, dont les escadres viendraient s’ajouter numériquement à ses Home fleets ? Rien que l’adjonction à celles-ci, pour éprouvées qu’elles fussent, de nos cinq dreadnoughts et de nos six Diderot suffirait à rétablir un équilibre momentanément rompu. Quant à la flotte japonaise, on sait quelle puissante diversion elle créerait, le cas échéant, sur le littoral des États de l’Ouest, qui sont ceux, justement, où l’on compte le plus de germanophiles. Rien de tout cela n’est ignoré de qui a intérêt à le savoir, et en réalité, si les prévisions humaines ont encore quelque valeur, dans l’extraordinaire crise que traverse le monde, il est permis d’affirmer que ni l’Angleterre, ni nous-mêmes, — à qui ce serait particulièrement douloureux, — ni le Japon, fort occupé de la Chine, en ce moment, ne se trouveront engagés dans une lutte qui choquerait violemment les sentimens intimes de la plus grande partie, du moins de la plus « humaine, » de la plus morale, de la plus respectable partie de la nation américaine.

Comptons d’ailleurs sur nos ennemis, dont les fautes nous servent autant que nos propres mérites, ainsi qu’il arrive souvent à la guerre. Comme je le disais tout à l’heure, l’excès de leur orgueil relient sur leurs lèvres, en ce moment même, le désaveu de leurs pirateries. S’ils persistent dans cette

  1. Les États-Unis ont en service 39 cuirassés dont 14 dreadnoughts. Ils en pourraient mettre environ 30 en ligne dans l’Atlantique. Il faudrait que la flotte anglaise eût perdu la moitié de son effectif pour se trouver en état d’infériorité Notons qu’elle a, de plus que la flotte américaine, 10 croiseurs de combat, qui sont des dreadnoughts rapides.