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travaillaient sourdement ; et le Saint-Office, que ses rois, jaloux des rois d’Espagne, avaient établi malgré les remontrances de Rome, peuplait les cachots sans amender les mœurs.

François et Rodriguez se mirent à l’œuvre. Ils répandaient la pratique des Exercices spirituels, confessaient, prêchaient, et, comme dans les villes italiennes, exhortaient au fréquent usage de la Pénitence et de l’Eucharistie. L’attrait de la nouveauté, leur distinction d’esprit et leur ascétisme provoquèrent un de ces mouvemens religieux souvent plus superficiels que profonds. Une lettre de Rodriguez à Ignace et les lettres de François respirent le succès. « C’est chose admirable à voir que la piété de ce peuple et comme il va épris d’amour pour Dieu Notre-Seigneur, dit Rodriguez. Tel plus que duc s’ouvre à nous en des entretiens intimes, comme s’il se confessait ; et ainsi font les frères du Roi. » Je n’aime guère ce Tel plus que duc : la périphrase se rengorge en baissant les yeux et en pinçant les lèvres. François est toujours plus simple, plus direct. Ses périphrases à lui, quand il en emploie, ne sont que d’aimables sourires. Il constate aussi l’efficacité de leurs prédications. « La Cour est si bien réformée, qu’elle tient plus d’un monastère que d’une cour. » Le Roi, de plus en plus désireux de s’attacher la Compagnie, avait décidé qu’il lui fonderait une maison et lui bâtirait un collège. De nombreux prêtres y postulaient leur admission. L’Inquisiteur avait ouvert à François et à son compagnon les portes des cachots. C’était entre leurs mains qu’on remettait un savant rabbin conduit à Lisbonne par son intention de se convertir.

D’autre part, François visitait les gens qui revenaient de l’Asie portugaise ; et les renseignemens qu’on lui donnait excitaient son enthousiasme. Le Vice-Roi, qui devait les prendre sur son navire et qui avait déjà passé de longues années là-bas, lui parlait « d’une certaine île de l’Inde, où ne vivent que des Infidèles sans mélange de Maures et de Juifs, et où ils auraient un grand fruit assuré. Il ne doutait pas que le Roi de cette île et tous ses sujets ne se fissent chrétiens. » Cette île ressemble à la mine d’or qui doit exister quelque part et que garantissent les agens de colonisation. « Le Vice-Roi est un grand homme de bien, ajoutait François : on le tient pour tel ici, et il est là-bas aimé de tous. » En réalité, ce don Martin Alphonse de Sousa n’était qu’un forban. Mais François le jugeait d’après les