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moment de mourir, le cœur de penser à Dieu. » Ce que ce bon homme disait, ce n’était pas pour l’avoir lu ou entendu dire, mais pour y être passé et le savoir d’expérience.


Ce n’est presque rien ; mais un ou deux mots : il aurait mieux aimé être dans le monastère ; — pour y être passé et le savoir d’expérience, amènent le sourire sur les lèvres. Nous avons là le ton de sa causerie, et sa manière délicate et légère d’envelopper la leçon grave.

Ils arrivèrent en juin à Lisbonne. Rodriguez attendait François, en proie à une fièvre quarte, que « leurs deux joies réunies eurent la force d’expulser. » Quelques jours après, le Roi et la Reine les reçurent. Ils les interrogèrent sur leur genre de vie : ils leur demandèrent comment ils s’étaient connus ; ils s’intéressèrent à leurs tribulations de Rome et désirèrent de lire la sentence rendue en leur faveur. A la fin de l’entretien, ils appelèrent leur fils et leur fille, les seuls des neuf enfans que Dieu leur avait laissés. Le Roi dit ensuite à l’Ambassadeur : « Quand il devrait m’en coûter cher, je serais heureux d’avoir ici tous les hommes de cette Compagnie. »

Il se rendait compte, en effet, qu’il n’aurait jamais assez d’apôtres pour contre-balancer, dans son royaume, l’influence délétère de ses conquêtes. Lisbonne, devenue la reine des épices et la courtière des pays fabuleux, regorgeait de richesses. Elle avait capté le commerce des Indes. Sa forteresse de Sokotora fermait la Mer-Rouge aux trafiquans arabes. Elle tenait les grands entrepôts d’Ormuz et de Malacca. Ses croisières promenaient le massacre et l’incendie partout où les autres navires marchands essayaient de se faufiler. Chaque année, les galions du Roi remplissaient le Trésor. Ses maisons de commerce gagnaient cent cinquante pour cent. L’Europe venait s’approvisionner chez elle, et l’Asie lui rendre des hommages. On croisait, dans ses rues montantes et sur les bords du Tage, des princes cynghalais, des rois hindous, des Africains et même des prélats nègres, des gens de toute couleur et de tout plumage. Elle n’avait pas la beauté de Venise, ni surtout le culte de la beauté. Comparée à la république patricienne, elle n’était qu’une parvenue, au luxe insolent, aux jouissances épaisses, mais magnifiquement assise devant l’Océan libre. Les Juifs qui ne s’étaient pas exilés, et qu’une absurde politique avait contraints de recevoir le baptême, la