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vie. Il éprouvait bien, en se détachant d’Ignace, une tristesse, dont l’effusion va presque jusqu’aux larmes. « Je crois qu’en cette vie, lui écrivait-il de Bologne, ce n’est plus que par des lettres que nous nous reverrons. Nous revoir facie ad faciem, avec force embrassemens, ce sera pour l’autre vie : tant que durera ce peu qui nous reste de la présente, visitons-nous donc fréquemment par lettres : ainsi ferai-je. » Quand il passa à Parme, où il espérait trouver Le Fèvre, — qui, justement, ce jour-là, était à Brescia, — il ressentit une contrariété mélancolique. Lorsqu’il franchit les Pyrénées, il regretta sans doute que l’Ambassadeur ne suivît point la route de Roncevaux et de Pampelune et qu’il ne lui fût point permis de jeter un dernier coup d’œil sur le paysage de son enfance et d’embrasser ceux de sa famille qui y vivaient encore. Mais ces ennuis se perdaient dans la joie de toucher bientôt à l’objet de ses rêves. Et puis, il recevait partout tant de marques d’affection et de respect ! Les Bolonais ne l’avaient point oublié : ils avaient assiégé l’église où il disait sa messe. La terre occidentale se faisait plus douce pour les pieds de celui qui allait la quitter. Il se dérobait tant qu’il pouvait aux prévenances de l’Ambassadeur ; mais il n’avait pas à craindre de s’abandonner un peu au plaisir d’être aimé. Et il était infiniment aimable : toujours empressé à donner un coup de main, serviteur des valets, pansant le cheval et soignant le cavalier, devisant avec l’un et avec l’autre, toujours là quand il y avait une âme à secourir, et toujours gai.

A défaut des témoignages, ses lettres seules nous indiqueraient le tour charmant de son esprit et la nuance de gaieté prime-sautière qui se mêlait à l’expression de ses pensées les plus sérieuses. Un écuyer de l’Ambassadeur, qui avait eu, pendant son séjour à Rome, l’intention d’entrer au couvent, faillit se noyer dans le courant d’une grosse rivière. François nous raconte l’incident :


Pendant qu’il allait ainsi sur l’eau, certes, il aurait mieux aimé être dans le monastère. Il avait un vif regret de tous ses retardemens, et, en ce moment, il aurait voulu de tout son cœur avoir accompli ses desseins. Lorsque je pus m’entretenir avec lui, il me dit : « Rien, pendant que j’allais ainsi sur l’eau à ma perte, sans espoir de salut, ne me causait autant de peine que d’avoir si longtemps vécu sans me préparer à la mort. » Il en demeurait si épouvanté qu’on eût dit qu’il revenait de l’autre monde et qu’il en avait senti les tortures à la façon saisissante dont il en parlait. Il disait : « Qui ne se prépare pas à la mort n’a pas, même au