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à Bologne, son originalité se dégage ; et il se pourrait que la présence de Bobadilla, d’une complexion si rude à côté de la sienne, y eût été pour quelque chose. Près de lui, François parut ce qu’il était, ce qu’il allait être tous les jours davantage : un ami fervent et persuasif des âmes, un maître d’humilité qui enseigne par l’exemple. « Il parlait peu, nous dit un témoin ; mais sa parole était d’une efficacité merveilleuse. » Ce que son tempérament gardait d’âpre et d’impérieux se tournait surtout contre lui-même. Il était doux, comme les ceintures de mortification sont lisses, avec les pointes en dedans. Il versait des larmes devant l’autel ; il avait des ravissemens et des extases. Et en même temps il savait si bien amollir ou fortifier les cœurs que ceux qui s’entretenaient avec lui emportaient le souvenir qu’ils avaient approché un Saint.

Mais les succès de son ministère dans cette ville de science et de plaisir, — « ô bon sang bolonais ! » s’écriait jadis Boccace, — les pauvres secourus et beaucoup de riches ramenés chaque dimanche à la sainte table, ne satisfaisaient pas son ambition. Au-delà de Jérusalem devenue inabordable il entrevoyait l’Afrique, les Indes, des limbes immenses. Les esclaves éthiopiens qu’il avait rencontrés à Venise, derrière ces sénateurs plus somptueux que des évêques, venaient hanter son sommeil. Mais ils ne marchaient point derrière lui. Une nuit, il rêva qu’il en portait un sur son dos ; et, les reins brisés, il se réveilla en criant : « Mas ! Mas ! Plus encore ! Plus encore ! » Il eût voulu porter jusqu’au Christ tout un monde. En Italie, surtout à Venise et aussi à Bologne, il n’avait entendu parler que des Portugais dont les progrès dépossédaient chaque jour la République Sérénissime de son monopole des épices, des aromates, des pierres précieuses et des perles. L’Egypte et l’Arabie semblaient rentrer sous les eaux, depuis que Vasco de Gama avait doublé le cap de Bonne-Espérance, découvert les trésors de Calicut et affranchi le poivre et la cannelle des droits excessifs dont les sultans les frappaient avant de les livrer aux Vénitiens. L’imagination des apôtres s’élançait sur les nouvelles routes que le commerce avait prises. Dans ses conversations, François revenait souvent à la question des Indes et avouait qu’il brûlait du désir de convertir les Infidèles. Cependant la fièvre quarte épuisait son organisme que plus de quinze mois de labeurs avaient anémié. Quand Ignace le rappela à Rome,