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discussions théologiques, les mit aux prises avec ses meilleurs théologiens. Lainez et Salmeron enchantèrent le Pontife. Il leur accorda ce qu’ils lui demandaient ; et, sans leur dire qu’on était à la veille d’une guerre entre Venise et Soliman, il ne leur cacha point que leur voyage de Jérusalem lui semblait fort problématique. Ils apportèrent ces nouvelles à Venise ; et, le 24 juin 1537, Ignace, François et leurs compagnons furent ordonnés par le nonce du Pape. Ils se préparèrent pendant quarante jours à la célébration du saint sacrifice. François les passa en compagnie de Salmeron à Montselice, près de Padoue, sous le toit d’une hutte solitaire. Ce fut à Vicence qu’il dit sa première messe en pleurant de joie. Ce fut là aussi qu’Ignace les réunit tous dans le vieux couvent abandonné de San Petro in Vanello. Que feraient-ils maintenant que la guerre des Vénitiens et des Turcs leur enlevait tout espoir d’atteindre la Ville Sainte ? Ils convinrent de se disperser provisoirement dans les villes italiennes, d’y recruter de nouveaux associés et d’y remplir leur ministère, et « considérant, dit Polanco, qu’ils ne voulaient servir d’autre chef que Jésus, il leur sembla qu’ils devaient prendre son nom et que leur association devait s’appeler Compagnie de Jésus. » Ils hésitaient encore sur leur but ; mais désormais le monde saurait comment les nommer. Ainsi, la première fois que le nom de Compagnie de Jésus fut prononcé, il le fut entre des murs en ruines, dans une misérable pièce où ces hommes couchaient sur un peu de paille comme s’ils s’étaient partagé la crèche de Bethléem. La pluie tombait par les crevasses du toit. La lumière entrait par les trous des fenêtres, lorsqu’on avait ôté les briques qui les bouchaient pendant la nuit. Mais l’Eglise elle-même avait fait ses premiers pas parmi les tombeaux ; et les grandes œuvres chrétiennes plongent vigoureusement leurs racines dans la misère qu’elles viennent consoler ou dans la mort dont elles triomphent.

Ils avaient choisi de préférence les villes d’Universités. Le séjour de Bologne fut dévolu à François et à Bobadilla. Jusque-là, la figure de François, comme apôtre, ne se détachait pas nettement du petit groupe des Iniguistes. Sauf l’épisode de l’Hôpital des Incurables, aucun incident ne le met en évidence. Il n’a pas été de ceux qui ont le plus brillé devant le Pape. Il a marché, mendié, prié, prêché comme ses compagnons. Mais