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sur son intelligence ? De tous ces maîtres, dont la valeur ne pouvait lui inspirer qu’un grand respect, quels furent ceux dont il écouta plus volontiers la parole, dont il subit plus particulièrement l’influence ? Sur le seul auquel il fasse allusion, l’aristotélicien Jean de Peña, homme chaste et bienveillant, nous avons moins de renseignemens que sur les autres. Se laissa-t-il circonvenir par les idées des réformateurs ? En 1535, dans une lettre à son frère où il lui recommande Ignace de Loyola, il parle des compagnies perverses dont Ignace l’a détourné, de ces hommes qui paraissaient bons, mais qui avaient le cœur plein d’hérésies. Nous savons que sa famille fut tentée de le rappeler, soit qu’elle craignît pour sa foi, ou qu’il dépensât trop d’argent. Ce fut sur le conseil de sa sœur Madalena, l’abbesse de Gandie, qu’on lui permit de continuer ses études : elle avait eu le pressentiment de sa gloire future. Il traversa quelques années de trouble intérieur dont il ne sentait peut-être pas lui-même tout le danger ; et ce trouble se manifestait extérieurement par une dissipation de gentilhomme qui, sans être fastueux, comme le dit Quicherat, avait des goûts de faste et surtout des besoins d’argent. Dans cette lettre à son frère, il avoue qu’Ignace l’a souvent aidé de sa bourse. Il n’acceptait pas encore sa direction ; mais il ne refusait pas ses subsides ; et Dieu sait pourtant qu’Ignace avait assez de mal à se procurer de l’argent ! Mais notre François aimait à faire figure. Ce furent ses années de « libertinage. »

Elles auraient été pires peut-être sans Pierre Le Fèvre. François était entré à Sainte-Barbe en qualité de camériste portionniste, c’est-à-dire qu’il jouissait d’une chambre avec un ou deux camarades et qu’il était nourri par la maison, au lieu que les simples caméristes se nourrissaient à leurs frais. Il eut pour compagnon de chambrée, venu en même temps que lui, et aspirant comme lui au grade de docteur en théologie ou en droit canon, le fils d’un paysan savoyard de Villaret, dans l’évêché de Genève. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier que les jeunes gentilshommes et les jeunes paysans connaissent le bienfait des camaraderies ou des amitiés de collège. Mais la vie perdrait de sa saveur, si nous pensions que nos ancêtres ont participé aux mêmes avantages que nous.

Comme Guillaume Postel, le petit Le Fèvre avait ressenti, dès ses premières années, l’aiguillon du savoir. Derrière les