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portier Polyphème, ainsi nommé à cause de sa stature et parce qu’il était borgne, à ce Polyphème qui, trois ans plus tôt, dans un bombardement nocturne à coups de pierre, avait protégé de son vaste corps l’armée des Barbistes contre celle des Montacutiens. Les portiers des collèges étaient, en ce temps-là, des personnages. On les choisissait incorruptibles, et surtout vigoureux. Ils connaissaient mieux les élèves et savaient mieux ce qu’ils faisaient que le principal lui-même. Un nouveau Barbiste devait rechercher les bonnes grâces de Polyphème. Sainte-Barbe avait alors à sa tête un Portugais, Jacques de Gouvea, dont la famille, de petite noblesse, fournit à elle seule, dit Quicherat, une dizaine de professeurs qui prirent tous leurs grades à Paris. Les rois de Portugal, que le commerce des Indes enrichissait et qui avaient à cœur de convertir les nations indiennes, envoyaient à l’Université de Paris beaucoup de jeunes gens pour qu’elle les mît en état d’instruire et de former des missionnaires. Et l’année 1526, la seconde de son arrivée à Sainte-Barbe, François vit donner une grande fête en l’honneur du roi Jean et de son frère, le cardinal infant don Alphonse, qui venaient d’y assurer à la colonie portugaise la permanence de cinquante bourses. Ces marques de considération royales, que jalousaient les autres collèges, semblaient dorer d’un peu de l’or fabuleux des Indes les cinq écus du vieil hôtel de Chalon. Le descendant des Jassu et des Azpilcueta n’y restait certainement pas indifférent ; et, bien qu’il eût troqué son costume de gentilhomme pour la longue robe et la ceinture de cuir des écoliers, il n’en jetait pas moins, du haut de sa hidalguia, des regards de dédain sur les tristes camarades d’en face, car toutes les apparences de la misère lui inspiraient une assez vive répulsion.

Mais n’allons pas croire que le collège de Sainte-Barbe fût un établissement mondain. Ah ! Dieu, non ! Comme dans tous les collèges de cette époque, les élèves étaient durement traités : lever à quatre heures ; à cinq heures, première leçon dans les classes, où ils se tenaient, comme un bétail, accroupis en hiver sur la paille, en été sur une litière d’herbe fraîche ; puis la messe ; puis l’invariable succession des longs repas maigres, des exercices religieux et des cours. La férule et le fouet retentissaient comme sur le chemin des foires. On n’avait de récréations que le mardi et le jeudi, de vacances qu’au mois de