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Chaque lundi, les tombes des morts recevaient l’absoute. Il grandit au milieu de ces sonneries régulières et de ces chants, à l’ombre de ces murailles féodales, dans ce désert que traversaient des pâtres derrière leurs longs troupeaux.

Il connut surtout sa mère, car les charges du docteur l’obligeaient à de fréquens séjours dans la capitale de Pampelune. Le château restait sous la garde d’un cousin de doña Maria, Martin de Azpilcueta, soldat vaillant et de piété profonde. L’enfant avait aussi près de lui une tante maternelle, Violanta, qui vivait en sainte fille, et peut-être ses sœurs, à moins que l’aînée, Maria, n’eût déjà prononcé ses vœux dans l’abbaye de Santa Engracia de Pampelune, et que la seconde, Madalena, ne fût déjà fille d’honneur à la cour d’Isabelle la Catholique, qu’elle quitta, malgré sa beauté, pour entrer chez les Clarisses déchaussées du couvent de Gandie. Quant à la troisième, Ana, elle devait se marier, mais Dieu n’y perdit rien, car elle fut l’aïeule de l’apôtre du Grand Mogol, Jérôme Xavier. Le docteur Navarro, son aîné de douze ans, nous dit « qu’il était doux, aimable, poli, gai, plaisant même, d’une singulière pénétration d’intelligence, curieux d’apprendre, jaloux d’exceller en tout ce qui fait le gentilhomme accompli, de sorte que, cher à tous les siens, il ravissait dès l’abord ceux qui ne l’avaient jamais vu : péril redoutable auquel il n’eût point échappé sans le don d’une naturelle réserve, d’une virginale pudeur que tous admiraient en lui. » Mais ces traits anticipent le temps où nous sommes. Et c’est tout ce que nous savons de son enfance.

Il avait six ans lorsque les disgrâces de sa famille commencèrent, et les malheurs de la Navarre. Le pape Jules II avait déclaré la guerre à Louis XII. Ferdinand le Catholique, entré dans la Sainte Ligue qui unissait les forces de la papauté à celles du roi d’Angleterre et de l’empereur d’Autriche, n’attendait qu’une occasion pour mettre la main sur la Navarre. Il exigea que Jean d’Albret donnât libre passage à ses troupes. Le roi de Navarre dépêcha des députés à Louis XII et envoya Juan de Jassu à Ferdinand, afin d’obtenir des deux souverains la reconnaissance de sa neutralité. Mais Ferdinand brusqua les choses, et le très illustre duc d’Albe, avec une armée de quinze à seize mille hommes et grande artillerie et des bulles d’excommunication qui vraisemblablement étaient fausses, envahit la Navarre et s’empara de Pampelune sans coup férir.