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conservatrice ? Elle opposait l’Allemagne féodale et religieuse à la France impie et démagogique. Comme elle savait exploiter les argumens passionnés de toute la presse d’opposition, tant de droite que de gauche auprès d’un public assez rapproché de Paris pour s’intéresser à ses scandales, trop éloigné pour remettre les choses au point et pour distinguer tout ce que cette agitation politique avait de superficiel ! Que de fois, dans les années qui ont précédé immédiatement la guerre, n’ai-je pas entendu des gens, parfois bien intentionnés, prendre texte de ce théâtre brutal, de cette littérature insensée qui, sous couleur de faire la critique des mœurs, semblaient prendre plaisir à calomnier la famille française et la société française tout entière, et faire un sombre tableau de l’irrémédiable décadence de ce pays ? Le classique admirateur des temps accomplis trouvait là tant de thèmes commodes où exercer son éloquence de fin de dîner ! Il ne distinguait pas la France laborieuse, la France des profondeurs, la France éternelle, de cette petite société trop brillante et trop bruyante qui, sans la moindre hypocrisie, amusait le monde de ses fantaisies, et comme il ne connaissait pas les scandales de Berlin auxquels personne ne s’est jamais intéressé, sa diatribe, même quand tel n’était pas son dessein, contribuait à desservir la France au profit de l’Allemagne.

Auprès de la bourgeoisie libérale, les propagandistes du germanisme tenaient un autre langage. Ici, c’est de la France conservatrice et nationaliste qu’il fallait entretenir la méfiance. On soulignait le danger que présentait pour l’Europe le « parti de la revanche, » le « parti colonial, » et cette alliance russe, qui unissait la République au « tsarisme menaçant ; » on reprochait à la France de faire une politique d’aventure, alors que l’Allemagne, grande Puissance prudente et modérée, ne faisait que réclamer la place qui revenait à sa population croissante et à sa puissante industrie.

Assurément, ces thèses trouvaient aussi des contradicteurs clairvoyans, car ce n’est pas en vain qu’un pays comme la Belgique a reçu de France les principaux élémens de sa formation morale. Mais, d’année en année, on voyait l’aveugle admiration de la force allemande, de la méthode allemande, se développer et grandir. Le monde universitaire se germanisait de plus en plus. Alors qu’il y a trente ou quarante ans, il était de mode