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autrichienne. A force de nous représenter l’Autriche-Hongrie comme un assemblage chancelant, de répéter qu’elle est toujours en retard d’une idée, d’une année ou d’une armée, et dix phrases proverbiales, prétendus aphorismes, faux axiomes qui ne sont que des papillotes à envelopper des riens diplomatiques, nous avons méconnu qu’elle ait une grande tradition de politique extérieure, conçue avec astuce, conduite avec persévérance ; une politique spécifiquement balkanique, réaliste, sans illusion, sans scrupule, fondée sur une étude des coutumes, des mœurs, des caractères, poussée jusqu’à un degré de profondeur où personne ne l’avait portée avant certains de ses hommes d’État. Je me souviens d’avoir eu sur l’Orient, avec M. de Kallay, il y a une vingtaine d’années, les conversations les plus instructives ; et il n’aimait point qu’on le lui rappelât, mais il avait débuté par écrire sur les Serbes, dont il avait du reste injustement médit. De la Bosnie-Herzégovine, l’Autriche a fait, n’y eût-elle qu’à demi réussi, un foyer d’irradiation à travers la péninsule slave et musulmane. Patiemment, hypocritement, elle a travaillé par ses émissaires, prêtres, médecins, maîtres d’école, voyageurs de commerce, le sandjak de Novi-Bazar, le Monténégro, la Vieille-Serbie, l’Albanie septentrionale. Elle a enfoncé le coin dans l’Entente balkanique entre la Serbie et la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce ; elle l’a disjointe, a repris une partie perdue. Elle a osé pratiquer, au XXe siècle, une politique du XVIe : diviser pour régner ; mais c’est précisément celle-là qui convenait, et la seule qui convint, envers des Puissances du second ordre dont l’union serait une menace pour leur voisine du premier.

Cette même politique, l’Italie en a trop longtemps souffert pour l’ignorer. Elle a vu clair dans le jeu de l’Autriche, nous lui rendons volontiers cet hommage, mais n’est-ce pas plus que jamais l’heure d’y fixer ses yeux ? Des regards si pénétrans ne doivent pas traîner inutilement sur les défaillances du passé, quand même ce ne seraient pas les siennes. Il n’y a plus, en effet, jusqu’à ce que la victoire ait permis de les restaurer, ni de question de Serbie, ni de question de Monténégro. Ou plutôt, il n’y a, pour l’instant, qu’une question subsidiaire : sauver ce qui peut être sauvé de l’armée serbe et des troupes monténégrines, les refaire et les utiliser au mieux des intérêts communs. Mais il y a, en revanche, une question albanaise et une question épirote, qui font ensemble une question du Balkan occidental, et qui, comme telles, touchent sans doute tous les États de la Quadruple-Entente, en tant que le Balkan est un des champs de bataille de la Grande Guerre ; qui, en tant que ce Balkan occidental surplombe et domine