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le désir d’entrer en pourparlers pour une capitulation. Il aurait été répondu : « La première condition pour l’ouverture et la poursuite des négociations est la capitulation sans conditions de l’armée monténégrine. » Par capitulation sans conditions, voici ce que l’Autriche entendait. L’armée entière déposerait les armes, les déposerait littéralement ; c’est-à-dire que, rangés par fortes unités, les hommes se courberaient et les mettraient à terre chacun devant soi ; non pas seulement les armes modernes, officielles, uniformes, leurs armes de soldat ; mais les vieux fusils, les vieux pistolets, les souvenirs de famille, leurs instrumens de chasseur, leurs insignes de guerrier. Et tous les hommes, depuis l’adolescence jusqu’à l’extrême vieillesse, et aussi les femmes, qui souvent ont accompagné les hommes à la guerre, seraient, avec des traitemens divers, compris dans la reddition. Puis le Monténégro serait partagé en secteurs, comme une grande forêt, que fouilleraient, afin d’y étouffer les moindres étincelles, des colonnes volantes. Au surplus, les vaincus n’avaient qu’à s’en remettre à la générosité du vainqueur, qui ne manquerait pas de se manifester dans la mesure où elle s’accorderait avec les intérêts de la monarchie austro-hongroise.

A peine ces négociations furent-elles amorcées que tout le monde crut conclue la paix séparée du Monténégro. La nouvelle déchaîna dans les Chambres des deux Empires, où elle fut apportée solennellement, toute délibération cessante, des acclamations enthousiastes et ce sont les comptes rendus qui le disent, « une joie frénétique ; » en rapport beaucoup moins avec l’importance intrinsèque de l’événement qu’avec la valeur qu’on se plaisait à lui prêter comme symptôme ou comme symbole. Fin et délicat comme on ne l’est que sur les bords de la Sprée, le président du Landtag prussien s’était écrié, au bon gros rire de l’assemblée et du public : « Et d’un ! Espérons que les autres suivront bientôt : quant au dernier, que les chiens le mordent ! » Sur quoi, les carillons avaient redoublé. Tout à coup on apprend que les pourparlers sont rompus ; le Monténégro repousse comme humiliantes les prétentions autrichiennes ; peut-être un ou deux généraux (on cite le général Martinovitch), de glorieux chefs de bandes refusent-ils d’obéir ; le roi Nicolas expédie de Scutari la Reine, les princesses, son gouvernement à Brindisi, et de Brindisi à Lyon ; il rédige une proclamation enflammée, avertit l’Europe qu’il retourne à Podgoritza avec les princes, au milieu de ses troupes, pour y combattre, jusqu’à son dernier souffle, pour y mourir en roi. Deux jours ne se sont point passés qu’il part, non pour Podgoritza, mais pour