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l’évidence : il imposerait un devoir d’évidence à la vérité religieuse. Il n’a pas établi qu’il eût le droit d’agir ainsi ; et c’est, dans son système, une lacune de la dialectique. Il ne répond aucunement à ce Pascal qu’il n’aime pas et qu’il traite comme ceci : « Homme arrogant et orgueilleux sous les formules de l’humilité, indigné qu’aucun mortel se crût permis de secouer un joug qu’il voulait porter lui-même ; homme ne pour la gloire et l’utilité de son siècle, s’il ne se fût étudié à perdre sa vie dans des minuties tristes et sauvages et s’il n’eût préféré au sage honneur de perfectionner les lettres et les sciences le dur plaisir d’humilier l’espèce humaine devant les chimères qu’elle-même inventa dans son délire ! » Il a remarqué, dans les Pensées, des « endroits éloquens ; » mais, ajoute-t-il, « combien c’est peu de chose que de l’éloquence employée à soutenir du ton le plus arrogant les plus impitoyables sophismes ! »

Parce qu’il est contre Pascal, est-il pour Voltaire ? — Il ne l’aime pas. Il le préfère aux ennemis de Voltaire : ceux-là, « une canaille mercenaire qui avait un prix fait pour l’injurier. » Les amis de Voltaire ne lui sont guère plus sympathiques. Il ne conteste pas que cet « homme illustre » ait bien agi en maintes circonstances et, de sa fortune et de ses talens, secondé des malheureux : orgueil ? dit-on ; bel orgueil. Mais, dans les écrits de Voltaire, il voit « une faiblesse, une pusillanimité honteuses qui lui font rechercher les faveurs des grands. » Il lui reproche d’avoir adulé les rois, les princes, leurs maîtresses… « Et que dirai-je de cette philosophie parasite aux yeux de qui le riche qui a une belle maison, des chevaux, des voitures, et qui va porter chez une belle courtisane le fruit de vingt années de concussions, est toujours un honnête homme ; mais le pauvre est un gredin que l’on renvoie dans son grenier, dans son galetas, à son cinquième étage ?… » Il a relu ou lu les œuvres de Voltaire. Il y a trouvé « un petit nombre d’articles fort beaux, » qui empliraient « un juste volume ; » et il y a trouvé « un puéril amas d’opuscules, où d’intéressantes questions de science ou de politique sont décidées avant même d’être entamées, » des « plaisanteries oiseuses, plus malignes qu’enjouées, et déjà usées et rebattues par lui-même, enfin mille folies, mille grimaces insipides que l’on ne regarderait pas sans un coloris vif et éblouissant, un style pétillant et léger qui amuse et étourdit le lecteur et lui fait perdre avec joie autant de temps à les lire que l’auteur en perdit à les composer. » Bref, « un homme que je n’aurais pu estimer et avec qui je n’aurais guère aimé de vivre. » L’immoralité de Voltaire le choque : « Ajoutez les vertus austères et mâles souvent