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foison, que de fautes la condamnent ! M. de Chénier s’est trompé, s’il a cru qu’il suffisait d’être le neveu du poète pour être le bon éditeur du poète : il s’est donné la peine de naître, et le voici, futile héritier, qui se trémousse parmi les divins manuscrits. Il les embrouille ; il mêle le théâtre et les iambes ; il réunit en un poème des fragmens qui n’ont pas de rapport ensemble. Et il ne sait pas lire, le malheureux ! Il attribue à son oncle ce vers :


Tourne un peu la médaille antécépiendaire…


Antécépiendiaire ? M. de Chénier l’a bien senti, c’est un mot qui ne passe pas tout seul. M. de Chénier, là-dessus, rédige une note savante : « Antécépiendiaire est un mot inventé et tiré du verbe antecapio, antecapare, saisir auparavant, se saisir d’avance, s’emparer d’abord, et qui fait allusion à l’acte de ce Gennot, désigné ici sous le nom de Gynnis, qui arrêta le poète d’abord et avant qu’aucun motif eût été allégué contre lui. » Mais, premièrement, Gennot, quand il arrêta Chénier dans la maison de Pastoret, ne fit qu’obéir à l’ordre de ses maîtres abominables, de ses maîtres pourtant, et qui lui commandaient d’incarcérer toute personne trouvée là. Deuxièmement, rien ne prouve que, sous le nom de Gynnis, Chénier désigne ce Gennot. Troisièmement, si M. Gabriel de Chénier avait su lire l’écriture de son oncle, il eût imprimé :


Tourne un peu la médaille au récipiendaire.


Il se dispensait ainsi d’une note, savante, oui, mais baroque ; et il dispensait d’un barbarisme le poème de son oncle. Dans l’Hermès : « On nourrit l’enfant avec du lait d’abord et le lourd boucher ne charge point son bras… » Le lourd boucher ? Non : « le lourd bouclier ! »

Certes, on le voit, l’édition de M. Gabriel de Chénier n’est pas bonne. Et ce n’était pas la peine de garder par devers soi si jalousement le précieux dépôt ; ce n’était pas la peine de contrister si cruellement Becq de Fouquières. Le pauvre Becq de Fouquières passa plusieurs années encore à noter les bévues de l’éditeur infidèle : il publia deux volumes de châtimens, deux volumes qui sont des modèles de juste critique et de polémique passionnée. Ensuite il mourut, et sans avoir vu les papiers d’André. M. Gabriel de Chénier, qui avait bien trente et un ans de plus que lui, survivait obstinément : il ne consentit à mourir qu’après Becq de Fouquières. Sa veuve, en 1892, légua les papiers à la Bibliothèque nationale et commanda qu’on