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de nous dressant ses tours colossales en ce site extraordinaire, sur ce promontoire montagneux en avant de l’Apennin d’où l’on découvre le plus immense horizon. Nous ne pouvons détacher nos regards de ce spectacle. Que de fois, lisant dans les historiens la vie de Frédéric II, j’avais ardemment désiré voir le château qui, de tous ceux qu’il habita, rappelle le plus vivement son nom ! Après cette course folle d’une vingtaine de kilomètres, nous escaladons les dernières pentes plus abruptes et faisons halte près de la grande porte de la demeure déserte. Sous nos yeux s’étendent à l’infini les plaines de la Pouille couvertes de villes, de villages et de cultures, et les plus lointains rivages de la mer Adriatique. Le splendide monument, à la fois forteresse, palais et maison de chasse, dresse sa masse géante au haut du mont. Sauf le revêtement de plaques de marbre qui ont disparu presque partout, le château est intact jusqu’en ses toitures immenses, sillonnées de rigoles pour le captage des eaux de pluie. La fin du jour est très belle. La solitude est complète. Seule la femme du gardien absent, promène un bel enfant devant le noble édifice. Nous pénétrons dans la vaste cour intérieure. C’est bien, là, la résidence superbe, toute en pierre, de ce César du XIIIe siècle : escaliers d’une conservation parfaite, deux étages de salles à voûtes ogivales supportées sur des colonnes, salles construites de pierres énormes aux arêtes encore très vives. Un silence de mort règne dans cette immensité que ne troublent jamais plus que les oiseaux de proie et les chats-huans entrés par les hautes et larges fenêtres ouvertes sur la campagne. Je traverse rapidement chaque salle ; il me semble que je suis le jouet d’un rêve. A chaque instant, je crois voir apparaître un des guerriers sarrasins du grand empereur dans son armure de mailles, sous son vaste turban blanc. Oui, c’est ici que Frédéric aimait à vivre, dans un farouche isolement de, ses sujets italiens, parmi ses gardes étrangers, au milieu de son harem de belles filles d’Orient. C’est d’ici qu’il courait chasser le lièvre, et même la gazelle, avec les fameux guépards acquis pour lui à prix d’or en terre musulmane et que leurs gardiens portaient en travers de la selle pour les lancer soudain sur le gibier épouvanté.

De la porte du donjon, la jeune femme du gardien nous fait admirer cet immense panorama. Elle énumère les cités des Pouilles qui s’étendent sous nos yeux depuis Manfredonia