Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chantant, hurlant des prières, nous descendons, un peu troublés par ce pieux vacarme, les longs escaliers souterrains taillés dans le roc, éclairés de lampes innombrables ; nous nous enfonçons profondément sous le sol ; nous franchissons les merveilleuses portes de bronze si célèbres, niellées d’argent, commandées à Constantinople, en l’an 1000, par le patrice Pantaléon, qui a fait sur leur paroi inscrire en lettres d’argent ses supplications aux gardiens de l’église pour qu’ils entretiennent avec soin son admirable présent ; il va jusqu’à leur donner des recettes à ce sujet.

Soudain nous débouchons dans l’immense sanctuaire creusé dans cette grotte transformée en église. L’impression est extraordinaire au milieu du bruissement de cette multitude qu’on a peine à distinguer. Peu à peu on s’accoutume à cette obscurité piquée de mille lumières ; on distingue les détails de ce temple unique au monde et la foule des fidèles qui, avec des cris, des invocations indescriptibles, assiègent incessamment l’autel et la statue de l’Archange. L’endroit est extraordinairement vénérable, merveilleusement ancien ! Il y a mille ans et plus, les mêmes foules naïves se précipitaient déjà aux pieds de saint Michel. Une grande partie de la décoration de la grotte remonte au plus haut Moyen Age. C’est un des lieux les plus impressionnans que j’aie visités dans ma vie. Les honneurs nous en sont faits par l’archidiacre de la basilique, prêtre de belle prestance, très fin, très érudit.

Dans la cohue priante et bruyante des pèlerins, deux femmes surtout attirent notre attention : une jeune et une vieille qui sollicitent du Saint une grâce à leurs yeux si capitale qu’elles semblent comme folles dans leurs instantes supplications. Elles poussent incessamment d’ardentes clameurs, pleurant, sanglotant, interpellant l’Archange avec des paroles vraiment furieuses. Derrière elles, un vieil homme s’écrie sans interruption : « Oh ! Santo, oh ! Santo, accorde-leur, accorde-leur ce qu’elles te demandent ! »

Nous redescendons à Manfredonia par une autre route d’où la vue sur la mer est plus belle encore. Nous rentrons à la nuit tombante à Foggia par la même voie rustique et poudreuse. Toujours nous rencontrons des bandes chantantes de pèlerins. Nous songeons, rêveurs, à ce sanctuaire étrange que nous venons de visiter, où les guerriers normands de la conquête allaient